it's do or die

« - Debout bande de paresseux, on a suffisamment traîné. » lança-t-il en arrivant sur le champ de Mars, son éternel arc à la main. Face à lui, une vingtaine de légionnaires des premières et secondes cohortes dont c'était le tour d'écoper de la séance d'entraînement matinale. Orion perçut immédiatement une vague de murmures et de regards déçus sur son passage. Ce n'était pas dans ses habitudes de se présenter en retard à ses propres cours et certains des jeunes avachis sur le sol terreux avaient dû en conclure qu'il n'apparaîtrait pas du tout et qu'ils pourraient retourner dans leur caserne gagner encore une précieuse heure de sommeil. Il leur adressa un regard noir qui les remit bien vite sur leurs pieds et ramena le silence. Le soleil se levait à peine, colorant le ciel d’un majestueux rose orangé qui se reflétait presque sur la terre de leur terrain d’entraînement. Il restait pourtant insensible à la beauté d’un tel spectacle. Pire, elle lui semblait presque insupportable, une indécence radieuse face au chaos de sa propre existence. Comment le soleil pouvait-il continuer de se lever comme si de rien n’était alors que la nuit même son monde entier avait été boulversé ? La veille au soir, il s’était éclipsé du Camp Jupiter pour se rendre dans ce bar de San Francisco que Lorelei et lui avaient l’habitude de fréquenter à l’époque où leur amour était encore intact, à l’époque où il ne se doutait pas de tous les mensonges qu’elle lui faisait boire. À présent qu’il l’avait perdue à jamais en apprenant la vérité, son appartenance à cette organisation de mortels fous à lier qui tentait par tous les moyens de les décimer, il avait conservé cette habitude, la cherchant à moitié, aimant surtout se faire souffrir par la proximité de souvenirs heureux qu’il ne revivrait plus. Des mois d‘absence lui avaient pourtant fait perdre tout espoir et il n’avait ensuite qu’essayé de combler l’ennui de ses soirées vides. Aussi, il n’avait en rien été préparé lorsque Lorelei s’était présentée sous ses yeux. Il avait beau s’être persuadé de la haïr après tout ce qui s’était passé, elle lui apparaissait encore comme un ange tombé du ciel. Je suis enceinte, Orion. Les paroles qu’elle avait prononcées et qui tournaient depuis en boucle dans son esprit. Des heures de discussion, de disputes s’en étaient suivies et il ne savait toujours pas comment se positionner. Il voulait cet enfant plus que n’importe quelle autre chose au monde mais les différents qui l’opposaient à sa mère semblaient insurmontables. N’était-ce pas égoïste, n’était-ce pas condamner cet enfant que de s’entêter malgré tous les obstacles qui se dressaient déjà avant même qu’il ne fût né ? Pire, que lui arriverait-il si les mortels découvraient son ascendance divine ? Il ne se le pardonnerait jamais si le moindre mal lui était fait. Lorsque Lorelei et lui s’étaient séparés, il avait été incapable de regagner son lit au Camp. Il avait erré toute la nuit prisonnier de ses pensées jusqu’à ce que ses responsabilités ne se rappellent à lui.

Appuyé sur son arc planté dans le sol comme sur une vulgaire canne, les yeux alourdis par des cernes profondes et violettes, il tentait à présent de chasser ces pensées de son esprit pour se concentrer sur les légionnaires qui attendaient ses instructions. « - J’ai deux ou trois amis parmi les enfants de Vulcain qui m’ont aidé à concocter de quoi vous faire passer un sale quart d’heure. » annonça-t-il, un sourire aux lèvres. Non pas qu’il retirait une satisfaction particulière à les voir peiner à l’entraînement, malgré ce que certains semblaient s’être mis dans l’esprit, mais il était au contraire plutôt fier de ce que ses amis les mécanos l’avaient aidé à réaliser. Ce poste d’entraîneur au tir à l’arc lui plaisait bien, il avait enfin le sentiment d’être utile, de faire une différence qui pourrait sauver la vie d’un ou deux légionnaires face à la menace toujours plus persistante de ces foutus mortels. Si l’attaque du Camp Jupiter quelques mois plus tôt les avait tous effrayé, très peu d’entre eux n’avaient réellement été confrontés au danger. Tout s’était passé si vite, en pleine nuit, que nombre des survivants ne devaient d’être en vie qu’au fait qu’ils s’étaient trouvés profondément endormis dans leur lit. Contrairement à lui qui avait déjà confronté l’ennemi, vu de quoi il était capable. S’il se montrait dur avec ses élèves, s’il n’était jamais satisfait temps que leurs performances n’étaient pas parfaites, c’était parce qu’il voulait les pousser à tirer le meilleur d’eux-mêmes. La rage de se surpasser que son caractère antipathique leur inspirait leur ferait peut-être un jour éviter une balle entre les deux yeux. Et pour optimiser leur entraînement il leur présentait à présent les fameuses cibles mouvantes qui s’ouvraient à intervalles irréguliers pour lancer elles aussi des projectiles que les Vulcains avaient imaginées. Tirer sur des cibles immobiles, c’était bien joli, mais ça ne les préparerait pas au véritable combat. « - Aucun de vous ne quittera le terrain avant de les avoir toutes descendues, et s’il faut que vos mains saignent sur les cordes, je m’en fiche. » asséna-t-il d’un ton déterminé mais où transparaissait la fatigue de la nuit blanche qu’il traînait derrière lui. Il montra lui-même l’exemple, bandant le précieux arc que Cupidon en personne lui avait offert il y a de nombreuses années et descendit d’une unique flèche la cible qui s’était trouvée la plus éloignée de lui. Puis ce fut au tour des légionnaires de s’essayer à l’exercice, certains avec plus de succès que d’autres. Orion passait entre eux pour rectifier une position ou dispenser des paroles cassantes, exaspéré par le peu d’entrain que certains semblaient mettre dans cette tâche. Jusqu’au moment où il aperçut une silhouette à terre, touchée par un des projectiles qu’avait lancé une des cibles. Il s’approcha pour estimer la blessure et lorsqu’il constata qu’il ne s’agissait que d’une égratignure superficielle sur le bras, il poussa un imperceptible soupir de soulagement. L’arme conçue par les enfants de Vulcain n’était pas censée causer plus de dégâts que ce qu’un morceau d’ambroisie pourrait guérir en quelques secondes, mais combiné à la gaucherie de certains, n’importe quel exercice devenait vite dangereux. Le blessé en question était pourtant l’un de ses meilleurs élèves, un légionnaire qu’il avait tout particulièrement affectionné depuis son arrivée au camp. « - Debout Hagenauer. » lui ordonna-t-il pourtant d’un ton froid. « - Si ça avait été un mortel en face, tu serais mort. C’est ce que tu veux ? Non, alors lève-toi et plus vite que ça. » continua-t-il sans l’ombre de la moindre émotion autre que la lassitude.

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