Tristan n'avait pas grand-chose à voir avec la majorité des demi-dieux. Beaucoup, si on traînait seulement cinq minutes à la Colonie des Sangs-mêlés, s'entraînaient avec assiduité, manipulaient l'épée avec ardeur et, il faut le dire, une certaine classe. Il y avait bien quelques enfants d'Aphrodite qui s'évertuaient à entretenir les clichés en bronzant sur la plage mais à leur façon, ils savaient aussi être utiles. Tristan lui… N'était d'aucun utilité. Pire, il n'avait aucune honte à l'admettre et à l'avouer ouvertement. Oui, il ne voulait pas se battre pour un groupe ou pour les autres. Oui, il savait être un parfait connard et fuir à la première occasion s'il n'avait pas d'affinités particulières avec la personne en danger. Et il n'en éprouvait pas le moindre remord. Ils étaient amis ? Non ? Bon alors parfait, il ne lui devait rien. Mais depuis qu'il traînait dehors, sans barrière magique ou bungalow pour le protéger, Tristan avait réellement compris le sens de l'entraide et des potentiels alliés. Dans le milieu sauvage, n'importe quelle aide pouvait se révéler précieuse et vite devenir une condition absolue de sa propre survie. Et puis ensuite il y avait la seconde catégorie : ces gens tellement normaux qu'ils en devenaient improbables dans son monde de fou. Et ces gens d'une banalité sans nom, Tristan voulait les conserver à peu près vivants pour, parfois, peut-être vivre quelques minutes lambdas. Comme aujourd'hui au milieu de dizaines de gamers. Et puis sa bulle de normalité, déjà bien amochée par la créature, vola en éclat aux paroles de Marvin. « Quoi… ?! » Oui, ils pensaient sincèrement être discrets, que le monstre n'avait pas l'ouïe assez fine pour percevoir leurs paroles. Triste erreur dont ils se repentiraient plus tard.

La créature prit de vitesse, ferma la porte d'un coup de pieds. La petite cour prenait subtilement l'apparence d'une arène romaine où deux gladiateurs devraient se battre contre quelque chose d'infiniment plus puissants. Et l'idée que les deux gladiateurs soient lui et un gamer potentiellement au courant pour l'univers mythologique – devant l'urgence, ça ne choqua pas spécialement Tristan mais en y repensant pus tard, il perdrait sans doute les derniers espoirs qu'il avait u former quant à la possibilité d'une vie paisible et parfaitement normale – n'était pas pour le réjouir. Ils allaient… se faire casser la gueule. Et finir en brochette d'humains pour un monstre affamé et loin d'être sexy. Les mots de Marvin l'agacèrent plus qu'ils ne le surprirent (comme dit, il n'avait plus le temps de s'étonner). « Putain mais à ton avis ! Comme toi ! » Lourde erreur, mais tant pis. La créature chargea et Tristan se décala, évitant l'assaut d'un cheveu. Il sentit le vent de la course lui caresser le visage. Il tira sur la corde, laissant une flèche apparaître, et la balança à son allié improvisé qui se tenait près de la porte. « Juste ça ! » Le monstre cette fois-ci ne rata pas sa cible et Tristan eut l'impression de se prendre un autobus dans les cotes. « Ouf... » Créature et demi-dieu s'écrasèrent contre l'un des murs en briques qui entourait la ruelle, dégringolant au sol dans un tas ridicule de membres, de cheveux et d'habits. L'adrénaline lui donna l'énergie nécessaire pour repousser brutalement la chose et encocher une nouvelle flèche… Dur, l'autre était trop près, pas assez d'espace ni de temps de viser… À la flèche, ça irait bien mieux. Tristan prit l'une des flèches à pleine main, sauta directement sur le monstre et lui érafla le dos. Mis Mocheté n'apprécia absolument pas l'assaut, le balança telle une poupée de chiffon contre un nouveau mur. La créature hésita un instant et ouvrit une bouche démesurée, la bave aux lèvres. Le cri qui sortit de son petit corps vaguement féminin était hideux, effrayant. Elle appelait visiblement des potes à la rescousse. Tristan resta tétanisé puis se précipita vers Marvin au moment même où la porte s'entrouvrait, laissant apparaître le visage d'un type portant un badge. Jimmy qu'il y avait écrit dessus. « Salut les gars ! Des portes-clefs Final Fantasy, ça vous intéresse ? » Tristan attrapa la caisse de portes-clefs, les balança sur le monstre. Puis il traîna Marvin à l'intérieur, l'arc sous un bras, la flèche dans l'autre. Sauvés - temporairement - par des portes-clefs tirés d'un jeu vidéo... Sa vie tournait au grand guignol et c'était de pire en pire. « Vite, vite, on se tire ! » Tant pis pour l'après-midi sympa qu'il s'était imaginé, c'était un peu trop tard maintenant. « T'habites à New-York ? Faut qu'on se planque un peu... avant de se faire bouffer. » Au moins, son visage ne lui disait toujours rien, même avec la dénomination « demi-dieu » derrière. Tant mieux.

Tristan contempla le cyber-café un bref instant avant de pousser Marvin à l'intérieur. Depuis qu'ils avaient quitté le théâtre des événements, le monstre n'étaipas réapparu mais ce n'était pas une raison pour baisser sa garde. Déjà le fils de Borée avait forcé son camarade à faire une multitude de détours sur leur itinéraire jusqu'au café, prenant du retard mais passant par de grandes artères bondées. L'objectif ? Diminuer au maximum l'odeur qu'ils devaient laisser tous les deux et espérer semer définitivement la créature. « Bon, je pense qu'on sera tranquille ici, en effet. » Si le monstre réapparaissait… Ce serait un combat à mort cette fois-ci. Tristan ne se voyait pas errer ainsi éternellement avec une créature raide dingue de lui aux trousses. Hors de question. « J'ai l'impression de croiser des sangs-mêlés partout ces derniers, c'est fou. Peu importe qui je rencontre… On finit immanquablement par se battre. » Tristan détailla le visage de Marvin avec attention, cherchant la moindre bribe de souvenir pouvant laisser indiquer qu'il l'aurait déjà rencontré. Mais rien, rien du tout. De toute évidence ils n'avaient jamais croisé la route l'un de l'autre auparavant. Et quelque part… tant mieux pour Tristan. Un demi-dieu qui ne le connaissait pas croirait forcément son identité d'Ethan (Marvin n'avait rien trouvé à y redire en tout cas) et ne chercherait pas plus loin, ne saurait pas qu'il était banni des murs de la Colonie. Ou peut-être que Marvin était un Romain ? Ça paraissait bien improbable pour le sang-mêlé grec vu son manque de réaction au cœur de la bataille mais… « Mmh, tu n'es pas romain, n'est-ce pas ? Tu as déjà mis les pieds à la Colonie ? Sinon je peux t'en donner la direction, tu pourrais t'y entraîner. » Direct, honnête. Tristan avait trouvé que Marvin faisait un bien piètre adversaire pour le monstre. Certes lui-même n'avait pas été brillant mais il avait au moins le mérite d'être armé et de s'être défendu. « Tu sors sans arme ? » Remarque, Marvin avait peut-être des pouvoirs utiles, plus qu'une vulgaire arme en bronze céleste. Si seulement il avait su à quel point il se trompait sur toute la ligne… Il croisait un ennemi, un de ces ennemis que Vasiliy recherchait tant, et il le confondait avec un individu de son espèce. Original. Donner Marvin à Vasiliy lui était venu à l'esprit d'ailleurs : qu'un sang-mêlé comme le geek disparaisse n'étonnerait sans doute personne mais s'il disposait de pouvoirs utiles, Vaska pourrait être ravi de le dépecer et de l'examiner sous toutes les coutures pour découvrir de nouvelles choses. Et Tristan gagnerait encore davantage l'estime du psychopathe. Bon plan, mais pas pour tout de suite. « Je pense qu'on ne risque plus rien maintenant. Je vais y aller. Deux demi-dieux au même endroit… tut tut, mauvaise idée. » Il chipa une carte de visite du restaurant et sortit un vieux stylo de sa poche pour y griffonner rapidement le pseudo qu'il utilisait sur les jeux et sur Internet. Ce pseudo, c'était son deuxième lui après Ethan. Il faisait toute sa vie virtuelle avec. « Tiens, si tu veux qu'on reste en contact. Ça peut toujours servir ! On doit s'entraider entre gens particuliers. » S'il lui venait l'idée de le livrer à Vasa, il pourrait revoir Marvin facilement comme ça. « Tu m'envoies un MP rapidement sur un de ces jeux ? Genre ce RPG là. » Il souligna un des jeux rapidement avant de donner une claque amicale sur l'épaule du geek et de filer. « Bye ! » Tristan quitta le cyber-café pour retrouver l'ambiance plus agitée des grandes artères de la ville. Avec un peu de chance ce soir il pourrait de nouveau squatter l'appartement de Deirdre. Elle ne lui en voudrait pas, elle passait sa vie à la Colonie ces derniers temps et 'appartement restait tristement inoccupé. Le pire dans l'affaire, c'est qu'il venait joyeusement de se vendre et de se dévoiler devant un agent du DLCEM sans même en avoir conscience.