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Sa flèche alla directement se planter en plein milieu de la cible une centaine de mètres plus loin. Lorsque son cerveau enregistra l’exploit, tous les muscles de son corps se détendirent d’un seul coup, il inspira une profonde bouffée d’oxygène et le monde autour de lui se remit à exister, pour son plus grand malheur. Orion ne vivait plus que pour ces courts instants où il bandait son arc, se préparant à décocher. Il ne pouvait plus se souvenir d’une époque où il n’aurait pas eu un arc à la main. Cette discipline qu’il avait pratiquée pour son plus pur plaisir au niveau olympique dans le monde des mortels était maintenant devenue sa seule clé de survie face à eux. C’était triste en quelque sorte, mais lorsqu’il tirait, il était enfin vidé de tout sentiment négatif. Il n’y avait plus que lui et la cible. Il ressentait ce lien invisible qui le reliait à son père, bien que les flèches de Cupidon eussent pour but de susciter l’amour et non la mort, et son arme n’était plus qu’une prolongation de son bras ce qui expliquait qu’il la maniait avec tant de précision. Pendant le moment éphémère où ses yeux faisaient la mise au point pour viser, rien n’avait d’importance, mais aussitôt qu’il était passé, ses soucis revenaient l’assaillir. Il tentait pourtant de leur faire face, les reléguant dans un coin aussi égaré que possible de son esprit et se réfugiant derrière un masque inexpressif alors que les légionnaires de la troisième cohorte qu’il tentait d’entraîner ce jour là levaient vers lui leurs regards admiratifs. Pour être tout à fait honnête, il était plutôt fier du petit spectacle qu’il venait de donner, mais lorsqu’il prit la parole sa voix semblait comme éteinte. « - À votre tour maintenant. » Il fit une petite pause, laissant ses mots flotter dans l’air. « - Mais commencez à une vingtaine de mètres de distance, ce sera plus sûr pour tout le monde. » crut-il bon d’ajouter. Cette dernière précision aurait du sonner comme une plaisanterie, mais le ton n’y était pas. Non, il avait définitivement perdu toute envie de rire.

Orion passait dans les rangs de légionnaires, rectifiant ça et là une mauvaise position ou s’arrêtant pour dispenser l’un ou l’autre conseil. Il aimait beaucoup entraîner les cohortes de rang inférieur à la sienne car leurs combattants étaient réputés pour être moins doués avec les armes et lui donnaient ainsi plus de travail, et par conséquent, moins de temps pour s’apitoyer sur son sort. En le voyant arriver vers elle, une fille de Vénus d’environ dix-huit ou dix-neuf ans manqua exprès sa cible de plusieurs mètres avant de lui lancer un regard contrit. Elle lui faisait le coup à chaque leçon, tentant désespérément d’attirer son attention et de se l’accaparer pour un cours particulier. Un mois auparavant ce genre de comportement insouciant l’aurait sans doute fait sourire mais plus maintenant. Il s’apprêtait malgré tout à s’avancer vers la demi-déesse pour lui asséner quelques dures paroles sur la nécessité de s’entraîner avec sérieux lorsque son nom retentit dans son dos. Abandonnant sa mauvaise élève, il se retourna pour faire face à l’un de ses compagnons de la seconde cohorte. Il poussa un soupir de soulagement en constatant qu’il ne s’agissait pas d’Alek. Depuis son retour plus ou moins forcé au Camp Jupiter il éprouvait même des difficultés à supporter la compagnie de son meilleur ami. Ce n’était pas contre lui, il l’adorait toujours autant mais il refusait de lui expliquer les raisons de son changement si drastique de comportement et les regards inquiets qu’il sentait en permanence posés sur lui devenaient lourds. Apprendre la vérité sur Lorelei l’avait anéanti et il ne voyait pas comment partager ce fardeau. Il n’en avait même pas envie par ailleurs, s’accrochant bêtement à la croyance que, tant qu’il était le seul au courant, la rupture n’était pas vraiment réelle. Alors il n’avait rien trouvé de mieux à faire que de fuir son meilleur ami, et Lux par la même occasion, ruinant en quelque sorte leur trio.

Il fut tiré hors de ses pensées par son camarade qui arrivait enfin à sa hauteur, le gratifiant d’une accolade amicale. « - Hé mec, je me demandais si t’avais bientôt fini de donner ton cours j’aurais besoin d’un ou deux conseils. » « - C’est à quel propos ? » Sa voix était presque inintelligible et tenait plus du grognement d’ours que d’autre chose. Il n’était pas disposé à parler, mais son compagnon ne semblait pas s’en préoccuper. « - Tu te souviens de cette fille dont je t’avais parlé ? J’aurais besoin d’un peu d’aide, j’y comprends plus rien. Un jour tout est rose et le lendemain elle refuse de m’adresser la parole. Franchement je ne sais plus quoi faire. T’aurais pas… » « - Fous moi la paix Aaron. » C’était rude et il ne l’avait pas laissé finir mais Orion s’en fichait pas mal. En temps que fils de Cupidon il avait l’habitude que tout le monde et n’importe qui ne vînt le solliciter pour des conseils d’ordre relationnel. Ils n’avaient jamais compris que ce n’était pas parce qu’il était le rejeton du dieu de l’Amour qu’il détenait toutes les réponses, mais il avait toujours fait de son mieux. À présent il n’avait même plus envie d’essayer. À quoi bon ? L’amour était mort de toute façon. « - Eh Orion t’es sûr que ça va ? » « - Ouais ça va très bien. » Pause. Encore un regard inquiet comme s’il était une petite chose fragile, c’était insoutenable. « - Écoute j’ai des trucs à faire, dis leur que la leçon est terminée. » ajouta-t-il avant de s’enfuir sans attendre de réponse.

Il ne savait pas exactement où ses pas le mèneraient, il errait sans autre but que celui d’échapper à toute forme de civilisation pour le moment. Il se félicitait que Lux n’eût pas assisté à cette petite scène. Sa soeur et lui avaient toujours partagé leurs convictions concernant l’amour. Ils y croyaient tous deux dur comme fer, persuadés que leur âme soeur les attendait quelque part. C’était pour cette raison qu’il s’était toujours senti plus proche d’elle que d’Elin qui ne partageait pas la même vision. Et pourtant ces derniers temps il se sentait plus relié à la brune que jamais. Après tout, peut-être avait-elle raison, peut-être étaient-ils maudits à cause de leur père. C’est vrai ça, papa ? Lux dirait que non. Et lui était plus paumé que jamais. Il pensait l’avoir trouvée son âme soeur, mais ça n’avait été qu’un énorme mensonge. Qu’allait-il devenir sans Lorelei ? À chaque fois qu’il pensait à elle c’était comme si on lui arrachait le coeur hors de la poitrine. Comment pouvait-il vivre avec pareille douleur ? Comment réussissait-il à se lever le matin pour continuer à respirer alors qu’il lui manquait un organe vital ? Sa main se porta machinalement à la poche de son pantalon où il s’attendait à trouver le petit écrin, celui qui contenait la fameuse bague. Il n’avait jamais eu l’occasion de faire sa demande, tant de préparatifs et d’efforts réduits à néant le rendaient malade. Cependant contre toute attente, la poche était vide. Merde. Ce n’était pas à cause d’un quelconque plaisir masochiste qu’il aimait la promener constamment avec lui mais parce qu’il ignorait quoi faire d’autre. Il avait peur que quelqu’un ne tombât dessus. Poussant quelques jurons, il changea de cap en direction de la caserne de la seconde cohorte. Il avait du la laisser quelque part dans ses affaires, un pantalon ou un manteau qu’il aurait porté précédemment.

La porte de la caserne claqua avec un grand bruit, ne manquant pas d’annoncer son arrivée. De toute manière, elle devait être presque vide à cette heure de la journée. Orion s’avança vers le coin qu’il occupait pour dormir et où il entreposait ses affaires. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il y découvrit… « - Lux ? » Ce n’était pourtant pas inhabituel de la voir ici. Ils s’étaient souvent retrouvés sur ce lit pour parler de tout et de rien, se faire des confidences ou échanger leurs pensés à propos de l’amour. Si la scène avait eu lieu ne serait-ce qu’un mois auparavant il se serait contenté d’aller s’affaler à côté d’elle et tout aurait été normal. Mais ça ne l’était plus. Sa présence ici ajoutée au manteau posé à côté d’elle et qu’il était pourtant certain d’avoir laissé accroché avant de partir ce matin ne pouvaient avoir qu’une seule signification : sa soeur était venue jouer les fouineuses. Il ne pouvait pas lui en vouloir, Lux était l’une des personnes les mieux intentionnées qu’il connaisse et il lui avait donné toutes les raisons de s’inquiéter. Pas plus tard que ce matin, il l’avait encore croisée et ne lui avait adressé rien d’autre qu’un regard vide et quelques phrases creuses du ton inexpressif qui ne le quittait plus. Pourtant sa présence ici le rendait mal à l’aise. Il se sentait violé dans son intimité. Il s’approcha enfin d’elle et aperçut le petit objet qu’elle tenait dans les mains. Double merde. « - Tu n’aurais pas du voir ça. » dit-il en lui retirant la bague des mains.

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Il regretta la rudesse de ses paroles presque aussitôt qu’elles eurent franchi ses lèvres. À le voir comme il était depuis son retour, une personne qui ne connaîtrait pas Orion l’aurait sans doute pris pour un simple merdeux arrogant se complaisant dans sa froideur et ne possédant aucune considération pour personne. La vérité était toute autre. Cet air détaché qu’il se donnait, la lueur disparue de son regard, la flamme désormais éteinte qui l’avait enflammé, illuminé par le passé, tout ça n’était que son dernier rempart pour éviter de s’effondrer totalement. Celui qui pensait qu’il ne connaissait aucune émotion, aucun sentiment, était à des milles de la vérité. Son ultime malédiction était de tout ressentir bien trop violemment, chacun de ses sentiments semblait exacerbé à l’extrême et il savait que s’il les laissait librement s’exprimer il en serait ravagé. Sa seule défense face au désarroi était de l’emmurer profondément dans un recoin de son esprit. Peut-être cette incapacité à gérer sainement sa vie émotionnelle était-elle liée de près ou de loin à son père, peut-être était-ce juste dans sa nature, mais, le fait était que la culpabilité qu’il discerna sur le visage de Lux se refléta aussitôt sur lui. Il s’en voulait de lui avoir donné mille et une raisons de s’inquiéter pour lui, il s’en voulait de se sentir mal à l’aise en sa présence et plus que tout il s’en voulait de la faire elle aussi être gênée de se trouver là. Il ne la connaissait que trop bien pour savoir qu’elle ne voulait que son bonheur, mais il était déjà condamné. Plus personne ne pourrait le lui apporter à présent.

Lux le regardait d’un air ébahi avec les yeux d’une gamine qui savait qu’elle venait d’être prise en faute. Orion vint prendre place à côté d’elle, le bijou toujours en main. Rien ne servait plus de le dissimuler à présent, le mal était fait, sa soeur avait mis la main dessus. Il savait que la question lui brûlait les lèvres mais il était loin de posséder la force nécessaire pour lui fournir la réponse qu’elle attendait. Au lieu de quoi, ils restèrent tous deux enfermés dans un silence gêné. Le regard d’Orion s’était posé sur la bague pour éviter d’avoir à faire face à celui de sa soeur. Cette lâcheté était pourtant tout aussi douloureuse. L’anneau resplendissant qu’il avait choisi avec soin semblait le narguer. Le voir rappela à sa mémoire toutes les choses dont il avait été privé : un amour véritable, un futur heureux, le bonheur inconditionnel. Bien que Lorelei n’avait jamais vu le bijou, il lui semblait qu’il faisait partie d’elle, qu’il avait été créé spécialement pour elle. Il ne pouvait pas regarder les pierres dont l’anneau était serti sans penser à l’éclat de ses yeux, un éclat sans doute perdu à jamais.

Le silence fut brisé par la voix de Lux. Une fois encore il s’était égaré dans les méandres de ses pensées, en oubliant presque sa présence à côté de lui. Il releva le regard vers elle pour constater qu’elle semblait réellement éprouvée. Il se demanda un instant si son pouvoir d’empathie faisait encore des siennes ou si les tourments qu’il lui avait causés étaient l’unique raison de cette dévastation. Il ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable à cette idée. Il ne lui avait pas rendu la vie facile ces derniers temps, ni à aucune personne qui tenait un tant soit peu à lui. « - Non c’est moi, désolé d’avoir réagi trop brusquement, t’y es pour rien. » Il sentit sa main se glisser dans la sienne, mais plutôt que de l’encourager ce geste augmenta son malaise. Lux lui débitait un torrent d’excuses qu’il ne méritait pas. Certes elle s’était introduite dans son intimité sans sa permission mais uniquement parce qu’elle avait été à cours de ressources pour lui procurer une aide à laquelle il s’entêtait à tourner le dos. C’était lui le responsable de la plus haute trahison. Comment avouer à sa soeur qu’il avait perdu sa foi pourtant infaillible en l’amour ? Il en était incapable. Sa soeur portait son prénom à merveille, elle irradiait d’une lumière qu’il ne pouvait se résoudre à ternir. Orion savait que Cupidon y était pour quelque chose. L’amour était fait pour embellir le monde, et ses enfants aussi. Ils portaient sur eux cette note d’espoir qui les rendaient si désirables aux yeux du monde. Leur beauté tenait à plus que des traits fins ou des cheveux brillants, il rayonnaient de l’intérieur. Pourtant chez lui tout n’était plus que ténèbres, et Lux s’en était aperçue. « - Peut-être que je n’ai plus d’amour à partager. » Ses paroles semblaient flotter dans l’air alors même qu’elle lui avaient parues plus lourdes que du plomb. Prononcer ces quelques mots avaient été pour lui un effort presque insurmontable. « - Enfin si… bien sûr que j’en aurai toujours pour toi, la famille c’est différent. » tentait-il vainement de se rattraper. Ce qui avait été dit ne pouvait pas être retiré et il le regrettait amèrement. « - T’as raison on devrait sortir. » Il suffoquait presque dans l’air toujours emprunt de ses révélations, il avait besoin d’être partout sauf ici.

L’air frais et oxygéné de l’extérieur lui fit du bien. Il ne s’était pas retourné pour voir si Lux le suivait. Il pouvait presque sentir sa présence dans son dos, et il se doutait bien qu’après une telle confidence elle ne pourrait pas le lâcher d’une semelle. Il en avait trop dit ou pas assez. Il entraîna la jeune femme dans un coin à l’écart près des casernes où ils pourraient discuter tranquillement. Il tenait toujours sa stupide bague de fiançailles et la faisait tourner dans tous les sens entre ses doigts. C’était devenu une sorte de tic nerveux chez lui, à force de la transporter partout. Non pas partout, rectifia-t-il en pensée, s’il avait été méticuleux à ce point, il ne serait pas dans cette situation. Au fond, peut-être avait-ce été un oubli intentionnel de la part de son inconscient fatigué de porter seul un tel fardeau. Sa mâchoire se crispait et se décrispait à intervalles réguliers. Les mots refusaient de sortir de sa bouche. Il pouvait sentir l’attente de Lux à côté de lui, pourtant elle ne dit rien, résolue à le laisser prendre son temps. Elle semblait avoir compris que le brusquer ne servait qu’à le faire se renfermer un peu plus sur lui même. Le temps quant à lui semblait avoir cessé d’exister. Ce n’est qu’au bout de ce qui aurait pu tout aussi bien être une éternité que quelques minutes à peine, qu’Orion se décida enfin à remettre la bague dans la main de Lux d’un geste révulsé, comme si elle avait été empoisonnée. « - Du beau gâchis hein ? » Sa voix était plus amère que jamais. « - Elle ne l’a jamais vue. » Il fit une pause pour s’empêcher de trembler. « - Pas d’amour, pas de mariage. » Il était presque au bord des larmes à présent.

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Il avait cru que se débarrasser du fardeau qu’était le bijou en le déposant ne serait-ce qu’un court instant dans les mains de Lux l’aiderait à maîtriser ses émotions un peu mieux, mais il s’était trompé. Certes se promener avec cette bague sur lui était une attitude malsaine, il la sentait presque brûlante dans sa poche, tel le venin d’un serpent prêt à le mordre. Elle lui rappelait sans relâche l’échec de cette relation, la demande qui ne verrait jamais le jour. Orion était seul, plus seul que jamais, et pourtant paradoxalement lié par un serment invisible à ce maudit objet. Mais malgré tout, l’anneau n’était pas le fond du problème, il n’en était que la manifestation physique. L’ôter à sa vue ne changerait rien, Lorelei hanterait toujours son coeur avec tant de cruauté. Il avait beau essayer, il ne pouvait la fuir même s’il avait troqué le lit confortable de leur appartement contre celui de la caserne assignée à la seconde cohorte. La dureté, l’amertume que trahissait son ton prouvaient indéniablement qu’où qu’elle fût, cette femme avait le pouvoir de l’atteindre, de le blesser au plus profond de son être et de son âme. Se trouvait-elle à présent dans le même état que lui, désespérée, anéantie ? Sûrement que non et c’était là la douleur la plus aiguisée de toutes. Lui, Orion Nightshade, fils de Cupidon, s’était laissé abuser par un amour qui ne reposait que sur le fruit d’un énorme mensonge. Comment, dans ces conditions, garder la foi en toutes les croyances qui l’avaient bercé tout au long de sa vie ? Impossible. Strictement impensable.

C’était ce qu’Orion aurait aimé expliquer à sa soeur mais il ne parvenait pas à trouver les mots adéquats. Pour une fois, être confronté à un autre de son sang rendait l’entreprise plus difficile. Il aurait donné n’importe quoi pour faire face à une personne différente. Jules, par exemple. En effet, rien ne sert de prêcher un converti et son ami n’aurait pas été offensé de son rejet de l’idée même de l’amour. Lux en revanche… La jeune femme possédait encore cet éclat qu’il avait lui-même perdu. Elle était belle, sans doute aussi pure que l’auréole de leur divin père. Il ne se sentait pas d’être la personne qui viendrait briser ce cristal en elle, faire faillir cette flamme. Pourtant, sans qu’il n’ouvrit la bouche, Lux fondit en larmes sous ses yeux. À la vue de ce spectacle, il ravala les siennes. Son propre désarroi lui semblait désuet face à la détresse de sa soeur. Il avait beau ne pas comprendre ce qui s’était déclenché si subitement en elle, il se doutait bien qu’il n’y était pas étranger. Le chagrin sur son visage se transforma ainsi à nouveau en culpabilité. Cette dévastation était son ouvrage et il n’en était pas fier.

Lorsque Lux parvint enfin à bégayer quelques mots entre deux sanglots, il avait compris. Instinctivement il dégagea sa main qu’elle tenait toujours dans la sienne. Pour une personne qui ne les aurait pas connus, ce geste aurait pu sembler rude, insensible, mais Orion y voyait le meilleur moyen de protéger sa soeur de la tempête qui la prenait aux tripes. Elle n’avait pas eu besoin de lui expliquer ce qu’elle ressentait, il ne le savait que trop bien puisqu’il s’agissait de ses propres sentiments. Le pouvoir d’empathie de la jeune femme avait du se libérer de la cage qui l’avait contenu jusque là, et il avait craint que maintenir un contact physique entre eux ne pût l’amplifier, l’exacerber. L’espace d’un infime instant il leva les yeux au ciel l’air de dire vraiment, papa ? C’était indispensable ? avant de reporter à nouveau son attention sur Lux. Il était inutile de s’attarder sur les volontés divines qui échappaient entièrement à leur contrôle, et même à leur compréhension. « - Je suis désolé. » De maigres et piètres excuses. C’est tout ce qu’il était parvenu à articuler. Qu’aurait-il pu ajouter de toute manière ? Il ne savait que trop bien que Lux ne contrôlait pas son pouvoir qui surgissait selon un bon vouloir qui lui semblait propre. Et même si elle avait pu esquisser ne serait-ce que l’ombre d’un geste de contrôle, il soupçonnait fortement qu’elle aurait continué à attirer en elle ses émotions dans une tentative désespérée de le soulager. L’étreinte dans laquelle elle le prit tout en lui murmurant des paroles qui se voulaient réconfortantes pile au moment où il se faisait cette réflexion en était la preuve irréfutable. Tout le coeur de Lux s’ouvrait à lui, tandis que le sien semblait se refermer, encore et encore. « - Et si c’était justement la faute de papa, t’y as déjà pensé ? » Il fit une courte pause, le temps de laisser ses paroles s’imprégner. « - Peut-être qu’on est comme maudits en étant ses enfants. Regarde-le, il tire se flèches pour piquer les hommes mais lui, il n’a jamais trouvé le grand amour, celui qui dure pour l’éternité. On ne serait pas là toi et moi si ça avait été le cas. Peut-être qu’on sera comme lui. Seuls. Pour toujours. » Ça faisait beaucoup à avaler d’un coup, il en était conscient. Il s’arrêta net, comme happé par le poids des révélations qu’il venait de faire. Il reprit son souffle, il s’était exprimé avec véhémence, comme s’il avait cherché à se convaincre lui-même, à trouver une raison à son échec. Ce discours n’était pas le sien, il l’avait emprunté à Elin, mais plus il y pensait, plus il lui semblait plausible. C’était même évident, il avait été trop stupide de se voiler la face toutes ces années.

Néanmoins, il se doutait bien qu’un tel discours séduirait moins sa soeur. Il n’eut pas besoin de relever les yeux vers elle pour sentir son visage se décomposer. L’idée de lui faire du mal était insupportable, alors il tenta de se rattraper comme il le pouvait. « - Ça ne veut pas dire que je ne crois pas en toi, en mon amour pour toi. » Et c’était vrai. Malgré tout, le lien qui l’unissait à elle était intact. Il ne serait pas en train d’en parler avec elle autrement, il se serait contenté de l’envoyer balader comme toutes les autres malheureuses personnes qui avaient tenté de lui remonter le moral. « - Ce que je veux te dire c’est qu’il y a plusieurs façons de concevoir l’amour et tu ne dois jamais douter de celui que je te porte. Par contre… les âmes soeurs, tout ça, ce sont de belles foutaises ! » Son ton remontait sous le coup de la colère. Il y avait sincèrement cru, au grand amour et on voyait bien où cela l’avait mené. Comment Lux pouvait-elle continuer à se voiler la face ? Elle aussi avait perdu l’amour le soir de l’attaque. À cause des amis de Lorelei qui plus est. Il se sentait pris de nausée rien que d’y penser. Quand elle saurait, elle le haïrait à tout jamais. Et pourtant il savait qu’elle ne le laisserait pas s’en tirer sans une explication. Il savait aussi qu’il n’avait pas la moindre chance de la convaincre sans lui démontrer que, parfois, l’amour pouvait être mis en échec. Alors il prit une profonde inspiration, et il se lança. « - Bordel Lux je l’ai vue descendre un pauvre demi-dieu sous mes yeux. Comment tu veux que j’y crois après ça ? Ose me dire que l’amour est plus fort que ça ! » Il pleurait réellement après cette révélation. Pas de sanglots, seulement des larmes qui ravageaient son visage. Mais il s’en fichait pas mal, il les laissait couler, le regard plein de détresse. Tout au fond de lui, il n’attendait qu’un miracle de la part de Lux. Sans se l’avouer, il aurait aimé qu’elle lui redonnât espoir. Mais c’était perdu d’avance, il n’osait même plus affronter son regard par peur de l’horreur qu’il pourrait y trouver.

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