L'art pourrait-il être le miroir de l'âme ?

Je ne connaissais pas d’activité plus reposante et plus enchanteresse que celle de passer des heures à observer chaque détail de chefs d’œuvre réalisé par des maîtres de la peintures des années voire des siècles auparavant. Ces artistes avaient toujours forcé mon admiration, certains d’entre eux étaient devenus de véritables exemples à suivre pour moi. Je ne faisais certes pas partie de ces personnes qui aimaient à transposer leur imagination et leurs sentiments sur une toile blanche. J’étais cependant de ceux qui savaient capter la beauté et l’élégances de ces trésors. Durant des années, mon travail avait été d’estimer leurs valeurs et d’organiser leur revente sur des marchés plus ou moins honnêtes. J’étais plutôt doué dans ce domaine et mes connaissances se tournaient facilement vers moi lorsqu’elles avaient besoin de conseils pour des achats privés de peinture. Cependant, malgré mes années de pratique, je possédais encore des failles que je ne pourrais jamais combler. Car s’il était facile d’estimer la valeur monétaire d’un tableau en tenant compte de sa composition, de sa grandeur ou de la notoriété de l’artiste, aucune de ces toiles ne savaient retransmettre avec exactitude leur valeur sentimentale. Que représentaient-elle pour le peintre qui les avait réalisées ? Certains avaient consacrés beaucoup de temps à peaufiner chaque détail de leur peinture, pourquoi avaient-ils choisis ces couleurs, ces textures ? Pour quelle raison avaient-ils choisis de passer du temps à peintre ces modèles, ces paysages ? A quel point leur étaient-ils attachés ? Cela avait-il changer quelque chose dans la vie de leurs modèles ? Il était très difficile de le dire car même si le don du peintre était certain, aucun coup de pinceau ne pouvait retransmettre avec précision l’éclat les sentiments de leur cœur. On ne pouvait qu’imaginer et espérer tomber juste. La peinture comme dans toute autre formes d’art détenait un mystère continu qui ne pouvait que forcer l’admiration de tous.

Sur un plan plus personnel, je m’intéressais d’autant plus aux acheteurs de ces toiles et aux personnes qui les avaient parfois commandées. Pour quelle raison leur acheteurs avaient choisis cette peinture parmi l’immense choix de peintures qui s’offraient à eux ? Certains prétendaient que c’était par goût, d’autres avouaient volontiers les avoir achetées avant tout pour la réputation de leurs artistes. D’autres encore, les plus intéressants de tous, tenaient à ces toiles car elles représentaient des membres de leur famille ou des amis chers à leur cœur. C’était notamment le cas de ce magnifique tableau que je ne me laissais jamais d’observer lorsque je me rendais dans la galerie « Neue Galerie » de New-York. Parmi tous les chefs d’œuvre d’artistes allemands et autrichiens de renom se cachait le tableau de Gustav Klimt « Portrait d’Adèle Bloch-Bauer 1 » dont la beauté m’avait subjuguée dès la première fois que je l’avais vu. Cette femme aux traits si caractéristiques, ces fines feuilles d’or finement préparées qui entouraient le modèle d’une aura presque angélique faisait pour moi de cette peinture la huitième merveille du monde. Chaque fois que je me rendais dans ce musée, je ne manquais pas de venir la saluer. Ce portrait était à l’origine du plus beau de mes combats ; restituer les œuvres d’art spoliées par les nazis durant la deuxième guerre mondiale et les restituer au peuple juif.

Aujourd’hui cependant, je ne me doutais pas qu’une adorable surprise viendrais sublimer le décor enchanteur de cette pièce. Cette charmante apparition était fine et élancée. Ses cheveux magnifiques couleur noir de jais encadraient un visage rond et faisaient ressortir l’éclat de sa peau d’opale. Ses merveilleux yeux d’un bleu cristallin semblaient s’illuminer devant la magnificence de l’œuvre qu’elle contemplait. C’était une véritable beauté qui aurait certainement fait rougir de jalousie cette pauvre Adèle. Curieux de pouvoir observer de plus près ce joyau, je m’approchais à pas de loup et vint m’installer à ses côtés. Jouant de mystères, je fis mine de ne pas lui prêter la moindre attention. Mon regard se portait vers le tableau de Klimt et mes sourires ne s’adressaient qu’à la ravissante Adèle.

- Ce tableau est magnifique n’est-ce pas ? Savez-vous qu’il a une histoire tout à fait étonnante ? Il a été importé d’Autriche par une femme très courageuse, Maria Altmann, qui s’est battue pour que ce trésor traverse l’océan Atlantique. Des années de procès pour récupérer cette toile que l’Autriche considérait comme sa Madone… sa Joconde ! C’est sans contexte ma toile préférée. Elle me rappelle à chaque fois jusqu’où peut mener le courage et la persévérance de personnes déterminées !

Dans un dernier sourire, je consentis enfin à me tourner vers mon interlocutrice. Un sourire charmeur aux lèvres, je lui adressais un salut d’un bref mouvement de tête.

- En fait, je ne me suis pas encore présenter. Je me nomme Nicholas Lupin. A qui ai-je l’honneur ?

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L'art pourrait-il être le miroir de l'âme ?

La jeune femme s’intéressa tout de suite à mes propos, ce qui, avouais-je volontiers, me ravissait. Elle semblait réellement passionnée par l’art. Une passion qui était de plus en plus rare de nos jours et qui dénotait une remarquable soif culturelle. Je ne pouvais qu’hocher la tête d’une manière affirmative à ses propos. On ne pouvait que rester admiratifs devant ces toiles de maîtres ayant traversé les mers. Le talent de Klimt m’avait toujours émerveillé mais je conservais tout autant d’admiration pour les talents de Felix Nussbaum, un peintre exilé juif, qui a su mieux que personne représenté la vérité de la vie dans les camps de la mort. Dans un style totalement différent, Alfred Kubin ne cessait de me surprendre par sa vision si particulière du monde.

- Il est vrai que le musée recèle de trésor d’une rare qualité. Cette galerie a toujours fait partie de mes préférées de New-York, j’imagine que le sang autrichien coulant dans mes veines y est pour quelque chose. Etes-vous une habituée de ces lieux ? Je ne vous avais jamais vue auparavant.

La charmante demoiselle, faisant sans nul doute partie de mes contemporaines se présenta. Je souris alors très aimablement à l’annonce de son nom. Je l’écoutais ensuite comparer les tableaux d’Adèle Bloch-Bauer de Klimt. La justesse de son analyse ne manqua pas de me surprendre. Même si nos avis divergeaient, nous pouvions nous mettre d’accord sur un fait commun. Klimt était réellement un grand artiste.

- Vous avez raison, la première de ses toiles est elle-même une grande réussite. Quel que soit le tableau, Klimt possède une sorte de génie dans ce mélange de formes et de couleurs que l’on ne connaît que très peu chez les autres artistes de son temps. Il a su si bien imposé son style dans le domaine de la peinture qu’il suffit de jeter un œil sur l’une de ses toiles pour que même les plus néophytes des spectateurs savent qui est l’auteur de la toile. C’est un véritable génie, ne le pensez-vous pas ?

Il me prit alors une lubie. Je me mis à réfléchir à la raison qui la poussait à préférer la première des toiles plutôt que la deuxième. C’était une question que je m’étais très souvent posée. Comment était-il possible que nos goûts divergent à ce point ? Pourquoi préféré un tableau à un autre ? J’avais toujours pensé que les toiles étaient telles des miroirs, nous renvoyant l’image de notre âme.

- Laissez-moi deviner… Passionnée, possédant un goût pour les choses simples et peut-être un peu féministe… Oh je vous demande pardon ! Vous vous demandez certainement ce que je suis en train de faire. J’ai toujours pensé que les tableaux pouvaient refléter une partie de notre personnalité et était à la source de nos affinités pour une œuvre en particulier. Est-ce que j’ai vu en ce qui vous concerne ? De mon côté, si je vous disais que ce qui me fascine dans la deuxième toile, c’est la finesse avec laquelle l’or a été travaillé, la grâce et la prestance de d’Adèle ainsi que la symétrie des formes. Quelle conclusion pourriez-vous tirer en ce qui me concerne ?

Je dirigeais un regard interrogateur vers elle ainsi qu’un sourire encourageant. J’ignorais à l’instant ce qu’elle penserait de ce petit jeu improvisé. Cependant, j’étais très curieux et ma nature assez joueuse espérait qu’elle y prendrait goût elle aussi. Ce serait un bon moyen pour moi d’estimer l’intelligence et la clairvoyance de mon interlocutrice.

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