J’avais en horreur ce genre de soirée, celle où j’étais si minable que j’étais prêt à accepter le pire, ou j'étais capable du pire. Il y avait des soirs comme celui-ci où le sens de la vie n'est plus. J’avais son odeur sur moi, il me tenait par la hanche et je distinguais dans son regard une certaine fierté. L'homme aime être sale, moi, je les met minables. J’ignorais où nous allions véritablement, à l’hôtel ou chez lui. Je savais séduire, mais je ne laisse pas séduire. Rien n'est réel, tout semble euphorique et en mon coeur platonique. Je me faisais silencieux et posais un regard sur la vie. Mon passé avait laissé un vide dans mon présent, un gouffre qui n’était que néant, celui-là même qui m’aspirait lentement. Finalement, je lui adresse un sourire, au type. Un sourire hypocrite et menteur. Les gens se contentent de ce qu’ils peuvent voir, c’est comme cela que fonctionnent les humains. Parfois j’avais le regard triste ; l’envie morbide de m’enfouir, un désir toujours passé inaperçu. Quelques larmes cachées à l’aube des cauchemars. Poète de l’autodestruction, de la dévastation de l’esprit, qui était la proie de qui ? Je n’étais pas totalement inconscient et stupide, je n’avais tout simplement rien à perdre. Un sourire dans le vide et je saute vers l’avenir sans regarder derrière.
Pas besoin de se retourner, c’est tellement dégelasse et misérable.
Ne pas chercher à m’en sortir, petit rêveur est mort butinant vers un monde meilleur d’illusions fantomatiques, justicier injuste, borné, fermé et colérique. Les insupportables monstres planqués sous le lit, grignotent mes chaussettes oubliées et je retrouve mes pensées abîmées après chaque nuit. Parfois, j’ai encore peur de la monstruosité, peur de la couleur de mon âme. Probablement bleue, couverte de coups. Ceux qui ne pardonnent pas, ne guérissent jamais.
A sang. Rouge. Âme noire. Gosse brisé.
Quelque part, c’était mérité.
Alors quand nous sommes entrés chez lui, il se trémoussait avec joie. Il pensait que je lui appartiendrais, alors il voulu prendre son temps et il m’a proposé un verre et j'ai choisi le cocktail du soir. J’ai glissé mes doigts sur ses joues, glissant vers sa mâchoire musclée et c’est là que sa réalité est devenue toute autre. Les murs ont ondulé, mon visage se troublait dans ses yeux vitreux. Il se plaignit d’avoir mal au crâne, j’avais envie que sa tête explose. Puis finalement, comme d’habitude, je ne contrôlais rien. Le flux se jetait sur moi, mes sens s’engourdissaient et je sombrais moi aussi dans l’ivresse.
S’il y avait bien un bon inutile en ce monde, c’était bel et bien celui-ci.
Je l’avais relâché, il commençait à voir des bestioles courir sur les murs, il faut dire que les cafards ne m’ont jamais effrayé. J’avais malgré tout la faculté à m'en remettre assez rapidement et malgré mon pas hasardeux, je piquais ce qu’il y avait à prendre et je me suis arrêté face au bourbon qu'il était près à faire couler entre mes lèvres. J’ai longuement fixé, avec désespoir.
Combien de fois y avais-je pensé ?
De simplement passer l’arme à gauche pour en finir avec la peur.
Les corn-flakes
Vagabond. De ci, de là de la ville. A faire quelques courses dans les poches des autres. Un travail éphémère, comme la vie. Sans responsabilités, mais indispensable. J'esquissais des sourires sur mon visage juvenil, use parfois de la politesse. Mais souvent, je débordais de rage malgré que je ne fut qu'un enfant. En repérage, porte à porte. Je devais remarquer, détailler et mémoriser. Je connaissaisla ville comme ma poche depuis que je savais marcher, je connaissais chaque ruelle, chaque dépôt de poubelles, chaque planque… Il y avait cette époque là, où j’avais un chez moi. Quand je vivais avec ma mère. J’étais déscolarisé, je restais vautré dans le canapé et regardais les épisodes de scooby-doo. Je volais pour remplir le frigo et allait chercher les clopes de ma mère. Je n'’avais pas d’amis. J'étais seul, je regardais par la fenêtre les gens qui sortaient du métro et les analysais. Parfois je fumais une cigarette, ma mère me frappait car elle les comptait. Je dansais comme un possédé et faisais trembler le parquet, juste dix minutes. Dix minutes où les voisins pouvaient se rappeler de mon existence, j’espérais que l'on s’intéresserait à moi. Je m’habillais n’importe comment, me regardait dans le miroir et me trouvait dégelasse à voir, jusqu’à ce que j’emmerde le miroir et les corps de télévision. J’étais juste un corps en attente d’être déchiré, la tête sous la guillotine avec le sourire convaincu de faire tomber des têtes un jour avec la mienne. Je faisais le ménage, je mettais le bordel. Je sortais les poubelles, je faisais même le tri sélectif concernant les innombrables bouteilles d’alcool. Puis en remontant, j’engueulais le chien du voisin qui pissait sur notre porte, il me fixait de ses grands yeux d’abrutis. Un soir, je lui ai pissé dessus. La nuit j’avais peur, j’entendais les monstres taper dans le mur, plus tard je compris que c’était juste le lit de ma mère quand elle s’envoyait en l’air. A la télévision, j’ai vu les héros saigner. Les coups reçus, les bleus au corps ; les bleus à l’âme. La peine et pourtant, les héros sont fiers et forts. Les héros survivent, les héros gagnent. Je rêvais, j'esperais...
« — Réveilles-toi, espèce de crevard. »
Qu’elle disait, elle empestant l’alcool. Elle me secouait la nuit quand elle rentrait. Maman me donnait des coups, elle me disait que j’avais gâché sa vie. Elle n’avait jamais voulu m’avoir, elle me le faisait comprendre. Puis quand elle dessaoulait elle me prenait dans ses bras et je la pardonnais, elle pleurait beaucoup. Je vivais dans ma bulle d’ignorance dans laquelle elle m’avait enfermé, elle me disait que je ne saurais jamais faire quoi que ce soit de ma vie. J’étais un raté à ses yeux, sa vérité sous l’emprise de l’alcool, était devenue ma réalité à moi. J’avais peur d’essayer de m’en sortir, puis j’ai abandonné l’idée. Je ne croyais aux héros. Je savais que je ne valais rien, que je ne devais jamais me battre, mais me contenter d'essayer de survivre.
En fait, j’ignorais que c’était moi… Moi, je l’avais rendu comme ça. Parce qu’elle était alcoolique et que moi, quand je la touchais, j’avais beau l’aimer, je la tuais lentement. Au fond, je voulais qu’elle disparaisse de ma vie. Quand elle essayait d’arrêter, quand il n’y avait aucune bouteille d’alcool dans l’appartement, elle se réveillait ivre. J’étais la raison de sa destruction et j’ai juste pensé qu’elle mentait, qu’elle n’essayait pas de faire mieux car elle disait toujours que pour les gens comme nous… C’était inutile de viser trop haut. Je voulais pas qu'elle s'en sorte, je voulais qu'on reste des minables et que l'on n'existe jamais.
Un soir, elle s’est mise à hurler. Son corps tremblait, elle voyait courir dans le salon des hordes d’éléphants et grimpaient au mur des cafards (eux, je les avais déjà vu aussi), elle criait tellement que c’est la police qui est venu la chercher. Elle transpirait énormément, ils ont dit qu'elle aura besoin de soins pendant très longtemps.
Elle était folle, voila ce que l’on m’avait annoncé.
Je suis resté là, immobile. Fixant ma mère sanglée dans un lit, elle hurlait.
Je voulais qu’elle meure, alors j’ai décidé qu’elle l’était et je suis parti.
Poisson rouge
J’étais livré à moi-même. Ma mère était une cinglée et je l’étais probablement tout autant, à cause d’elle, que je pensais. Un type louche m’a proposé de venir chez lui, j’avais quinze ans, j’avais la trouille. Il m’a dit que je n’avais rien à craindre, moi, je l’ai cru. Je l’ai suivi, il m’a servi à manger. Il me regardait, je le pensais aussi un peu taré, mais je me disais que ce n'était pas grave. Je me suis confié, il trouvait ma vie fascinante. C’est quand il a essayé de me violer que j’ai compris qu’il fallait garder ses secrets et faiblesses pour soi, sans quoi les autres en profitent. Les individus ne sont faits que pour penser qu’à eux même, moi aussi je devais appliquer cette règle. Je me suis sauvé, le type... Il était comme ivre, incontrôlable, il m'avait sauté dessus et je ne comprenais pas ce qui était arrivé, encore une fois, par ma faute.
Enfermé dans l’engrenage de la solitude, je m’y noyais, me perdait.
A dieu et bonne nuit.
Je tournais en rond.
Ma mère est retournée à l’appartement, je ne pouvais pas m’empêcher de venir la voir par la fenêtre. Elle semblait aller mieux sans moi, jusqu’à ce que je l’aperçoive une bouteille à la main. C’n’était pas de ma faute, pas complètement, ça m'a un peu consolé. Je devais me planquer, je devais survivre. Je devais me débrouiller tout seul, ne faire confiance à personne. J’ai compris plus tard ce que j’avais fait à ma mère, quand je me suis rendu compte qu’autour de moi, les gens devenaient alcooliques et que leur comportement changeait. Ils étaient violent, ou très joyeux, irresponsable dans tous les cas. Le monde m'a paru terrifiant, les gens complètement fous. J’avais beau me dire que les gens malhonnêtes ont toujours un penchant pour l’alcool pour se réconforter, mais il était indéniable que quelque chose clochait chez moi. Je pensais même être alcoolique, par les visions étranges que je pouvais avoir le soir dans la rue. Des créatures étranges tout droit sorti de la mythologie, pour le peu que j’en connaissais. Episode 45 de scooby-doo, attaque de monstres de mythologie qui étaient en fait des robots conduits par des jumeaux diaboliques qui voulaient racheter l’usine de croquettes pour alligators, ou quelque chose dans ce gout là…
En tout cas, je les évitais ceux-là. Personne d’autre semblait les voir, alors j’ai fais semblant de ne pas les voir non plus. Jusqu’au jour où l’un d’eux m’a parlé. Je n’ai pas vraiment voulu écouter, mais il réapparaissait souvent, me disait que j’étais le fils d’un dieu important. Moi, je pensais bien que mon cerveau se foutait de moi, j'ai éclaté de rire et j'suis parti. Ouais, jusqu’à ce que je décide de suivre cette illusion trop réelle au cours d'une nuit terrifiante. Des gars à mes trousses,j'crois que j'avais choisi le type à voler. En tout cas, j'lai suivi, elle avait l'air de savoir où me planquer et j'avais pas d'autre options. Même si j’cachais ma peine sous des tatouages et que j’me sentais plus fort au contact glacial de mon flingue, j’avais toujours peur. J’étais terrifié de vivre, d’exister, d’être un fléau. C’est comme ça que je suis arrivé au camp Jupiter, que j’ai connu l’enfer. J’ai vu des pouvoirs qui surpassaient l’entendement et la réalité, je me suis calfeutré dans mon arrogance et ma rancœur de vivre. J’ai morflé au sens propre, je ne savais pas me battre. L’on me disait de réveiller mon instinct, que j’étais le fils d’un grand Dieu, que j’enfermais en moi bien plus que je ne voulais croire. Je me suis fais massacré, j’avais toujours cru vouloir mourir, mais j’en ai compris le véritable sens qu'en étant dans cet endroit. J’ai compris que tout cela était vain, que je n’y parviendrais jamais. Quand je m’auto alcoolisais pour ne pas affronter, pour encaisser, personne ne voyait rien, mais ça ne m’empêchait pas d’être brisé. J’ai abandonné, j’ai pris la fuite et vit avec le sentiment pesant d’être poursuivit. J’ai échoué, même si je ne veux pas l’admettre.
Je tourne en rond à nouveau.
Mais j’éprouve de la haine, plus que jamais.
Envers moi-même, ce que je suis, ceux qui sont comme moi.
Envers l’espoir.
La nuit noire
J’ai cherché à comprendre ce qui ne s’explique pas. Je me souvenais que j’étais sensé contrôler ce pouvoir, qu’il ne devait pas se retourner contre moi. Pourtant, je ne pouvais comprendre comment cela fonctionnait. Je me demandais comment des personnes sombres peuvent se retrouver ivres à mon contact. Je n’avais pas été longtemps à l’école, je lisais très mal et mon écriture était un véritable fiasco, mais je suis renseigné il parait qu’il existe un taux infime d’alcoolémie naturelle et que je suis en mesure de l’augmenter. Je ne comprenais pas l’utilité d’une telle chose, si ce n’était que me renvoyer en permanence dans les abimes de mes souvenirs les plus atroces de mon enfance. Et maintenant, je m’étais donné en spectacle, complètement ivre au camp Jupiter quand j’essayais d’utiliser mon pouvoir, car j’essayais de me battre pour être simplement ridicule et rit.
J’ai perdu toute envie de rire.
Tout ça pour en finir là, face à cette bouteille, un type minable au sol. Je me disais que mon don pourrait être mortel, que si je buvais, je pourrais me plonger dans un coma éternel. J’imagine qu’une simple bouteille pourrait être mon cimetière. Je me demande constamment ce qu’il arriverait si j’en buvais, si je sombrais en dedans. Je pense à ma mère, cette vieille folle, suis-je aussi prédisposé à l’alcoolisme ? Peut-être que cela ne me fera rien du tout, mais tant que je résiste alors, je me dis que j’espère encore quelque chose de la vie.
Mais quoi ?