« Like a true nature's child, we were born, born to be wild. We can climb so high. I never wanna die. »

Jessie est né à Cardiff en plein mois de janvier. Il a donc eu la chance de connaître son premier hiver alors qu'il n'avait que quelques jours. Une aubaine pour le petit garçon qui dès son plus jeune âge a pu décréter qu'il préférait l'hiver – cette saison si magnifique et calme – à l'été où les jours ont la fâcheuse manie de durer beaucoup plus longtemps. Le petit garçon était donc là, poussant des petits cris stridents alors que le soleil disparaissait. Il y avait de quoi être dégouté par ce bébé, surtout pour un homme célibataire qui s'était toujours qualifié de sans attaches. Son père n'a jamais eu pour ambition de l'élever seul. Quelques semaines après sa naissance, le petit blond s'était retrouvé affublé d'une belle-mère. Quand il y repense plusieurs années plus tard, il avoue qu'elle était suffisamment sympathique pour ce rôle même s'il a toujours du mal à comprendre comment elle s'était retrouvée embarqué dans cette affaire. Un homme d'environ trente ans qui lui propose de vivre avec un bambin à peine sorti du ventre de sa mère, ça n'a rien de très banal. Il n'a donc jamais vécu dans l'absence d'une autorité maternelle. En revanche, il n'a jamais su si son père avait simplement peur de devoir s'occuper seul de lui, s'il n'en avait pas la capacité au niveau autoritaire ou s'il ne l'estimait à ce moment pas assez pour ça. Pour lui avoir donné un prénom qui faisait plus fille que garçon, il a souvent préféré cette dernière possibilité. Bien sûr, sa figure paternelle a souvent tenté de se rattraper en précisant l'origine du second. Arthur, pour le roi fictif d'un pays qui n'était même pas le sien. Mais il aimait bien ces histoires pleines de magie.

– Il est bizarre.
– Il paraît qu'il aime bien rester seul dans le parc la nuit.
– En plus, il sait même pas lire correctement.
– La boulangère m'a dit qu'il partait. Aux États-Unis.
Et les femmes continuaient à piailler, prenant un plaisir presque malsain à commenter tous les aspects de la vie du garçon.

Les rumeurs qui couraient sur le petit Jessie alors qu'il n'avait pas encore l'âge de comprendre n'étaient pas vraiment méchantes. Elles étaient dures – c'était un fait – mais reflétaient tellement bien la réalité que personne d'assez âgé ne pouvait se permettre de les nier en bloc par manque d'arguments. La situation restait donc ainsi. Les femmes du quartier continuaient à parler et l'enfant à ignorer toutes les choses qui se disaient à son sujet. À cette époque, sa vie était assez calme. Il pouvait même avouer que ça le fatiguait. Bien sûr, c'était avant que son père débarque dans sa chambre le jour de son anniversaire pour lui dire qu'il devait quitter le pays. Pour lui qui adorait l'Écosse, les fêtes locales et la capitale de son enfance, c'était beaucoup. Mais il avait beau crier et protester, il n'était qu'un enfant âgé de six ans. Son père lui annonça donc simplement qu'il se ferait de toute façon de nombreux nouveaux amis – vu qu'il n'en avait que très peu, la nouvelle ne l'intéressa pas beaucoup – et qu'il ne verrait plus la moindre différence au bout de quelques mois. C'était loin d'être rassurant et l'unique réelle protestation qu'il pouvait effectuer à l'époque fut de s'enfuir de chez lui pour passer toute la nuit dans le parc pas trop loin du domicile familial. Revenir le matin ne fut pas la chose la plus facile à faire, sa belle-mère l'avait cherché partout et semblait réellement de mauvaise humeur à cause de sa nuit de sommeil gâchée. Il en était presque triste pour elle, elle qui restait là. Ce n'était pas sa mère, elle l'avait juste élevé. Il aurait dû pleurer. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de sourire en se grattant l'arrière de sa tête avant d'annoncer sur un coup de tête qu'il devait finir ses bagages pour le soir même. Il prenait l'avion pour la première fois quand même, épisode de sa vie qui restait d'ailleurs assez traumatisant.

Social n'est pas le mot qui convenait le mieux à décrire ce qu'était devenue Jessie durant son adolescence. Bien sûr, une fois arrivé dans ce nouveau pays dont son père parlait avec tant d'amour, il s'était dit que sa vie changerait peut-être, qu'il arrêterait de s'ennuyer sans raison. Ce fut une déception totale quand il se rendit compte qu'il se trompait totalement. La vie n'était pas plus drôle de l'autre côté de l'océan. Au contraire. Le seul avantage à cette nouvelle vie était l'incapacité des gens à le critiquer, tout simplement parce qu'ils ne le connaissaient pas encore. Ça aurait été trop beau si les choses étaient restées ainsi, ce qui n'était pas le cas. Avec le temps, il comprit que quel que soit l'endroit où il allait, bizarre serait un mot récurrent pour parler de lui. Il finit par en rire. Se battre dans les cours de récréations n'a rien de très glorieux. Il n'a jamais pu compter le nombre de fois où son père le lui avait répété en voyant revenir le soir couvert de bleu provoqué par les brutes de son âge. Mais il ne se plaignait pas. Il n'aurait jamais osé, cet acte était une preuve de faiblesse. Il préférait de loin se protéger avec des remarques bizarres et déplacées pour un enfant qui venait à peine de fêter son dixième anniversaire. Il arrivait même à faire peur aux professeurs. On ne plaisante pas avec quelque chose d'aussi triste que la mort. Pourtant, ça ne le gênait pas. Ça semblait presque naturel.

– Jess, lâche ton comic et viens jouer.
– Pas envie.
– Et qu'est-ce que je fous là si tu m'accordes même pas un regard ?
Le blond soupire avant de regarder son ami – assis sur le lit, une manette à la main – comme s'il n'était qu'un gêneur quelconque.
– T'as qu'à rentrer chez toi.
– Je croyais que tu voulais me voir.
– Plus envie.

C'était ce que certains de ses amis subissaient quotidiennement. Drôle de période que adolescence, surtout chez Jessie. Le mieux reste de ne pas chercher ce qui aurait pu le changer, son propre père serait incapable de le dire lui-même. Il marmonnerait sûrement quelque chose sur un manque de présence féminine dans leur vie. C'est d'ailleurs son explication favorite face à la quasi-homosexualité de son fils. Mais le problème n'est pas là, et si le blond pouvait se contenter d'avoir un penchant un peu trop marqué pour les personnes du même sexe, Mr. Carter dormirait sûrement tranquillement. Ce n'était pas le cas. En plus de ses habituels problèmes scolaires qui n'étaient maintenant qu'une formalité dans la famille, il devait subir ce que les médecins appelaient sans se fouler une crise adolescence. Mensonge. Si on enlève le fait qu'il est totalement lunatique, ce doit être facile de la qualifier de sympathique, et il était sûrement mil fois mieux dans sa tête que certaines personnes, mis à part le côté un peu trop violent qui lui causait un peu trop souvent des ennuis. Il était optimiste à l'époque, cherchait toujours le bon côté des choses. Il était vraiment devenue très bon quand il s'agissait de se battre. « Jessie est dérangé. » Cette phrase, il l'avait entendue trop de fois pour encore en tenir compte. Ça ne pouvait plus l'atteindre. Il n'était jamais réellement rejeté – il n'a d'ailleurs jamais su pourquoi – mais c'était parfois comme si. Il en riait, à quoi bon se morfondre pendant des heures. La solitude ne l'a jamais dérangé plus qu'il le faudrait.

– Tu es un demi-dieu Jessie.
– Quoi ?
– Les dieux existent, et ta mère est l'un d'eux.
– Tu sais, c'est pas parce que je crois aux extraterrestres que je vais me laisser avoir par tes conneries.

S'il avait su que cette conversation changerait sa vie, il n'aurait peut-être pas répondu quelque chose du genre. Pourtant, à ce moment-là, quand on lui avait annoncé cette nouvelle des plus importantes, il n'avait pris comme une blague. Il était connu pour sa passion pour la science-fiction, ce n'était pas la première fois qu'on tentait de se moquer de lui. Bien sûr, ça faisait toujours bizarre de la bouche de son propre père, mais il avait appris avec le temps à ne plus se formaliser pour ce genre de remarque. Pourtant, il a fini par le croire lorsqu'il s'était retrouvé devant une drôle de colonie, l'essentiel de ses affaires dans un sac. Il avait alors quinze ans et regardait sans comprendre cet homme qui lui avait accordé autant d'années de sa triste vie partir sans lui laisser le temps pour un réel au revoir. Il le reverrait sûrement. C'était son père après tout. Il devient alors un pensionnaire à l'année. Drôle de mode de vie. Apprendre à combattre à l'épée était vraiment quelque chose d'étrange qu'il n'aurait jamais cru possible, même dans ce pays assez excentrique. Mais tout cela arrivait, tout comme les conflits auxquels il refusait de prendre réellement part. Ce n'était pas sa guerre. Il avait déjà du mal à réaliser qu'il avait appris le nom de sa mère, Hécate. Ça faisait trop. Si on rajoutait la découverte de capacités un peu spéciales, on peut facilement affirmer que Jessie se serait bien contenté de rester chez lui, un bon roman de science-fiction entre les mains.

– Qu'est-ce que tu fous là petit ?
Jessie sourit au camionneur qui avait eu la gentillesse de s'arrêter. Enfin, ça faisait quasiment deux heures qu'il faisait du stop sans succès.
– Je campais avec des amis mais on s'est disputé. Vous pouvez me ramener à New York ?
– Monte.

Il avait quitté le camp, presque sur un coup de tête, ne prenant avec lui que le nécessaire pour survivre, débuter une nouvelle vie. Il n'avait prévenu presque personne, juste un ou deux amis qui d'après lui méritait de savoir où il allait. En revanche, il avait refusé de leur avouer pourquoi il partait, pourquoi depuis quelques semaines il refusait de s'entraîner et de se battre. Durant les presque quatre ans passés à la colonie, il avait toujours été partant pour. Désormais, il trouvait ça trop horrible. Pas les demi-dieux au complet – certains étaient capables de faire des choses magnifiques – mais juste lui. Il pouvait faire des choses monstrueuses. On lui avait pourtant dit de ne pas plaisanter avec la mort. Il faisait pire. Peu de temps après, il y eut le conflit entre grecs et romains. Encore quelque chose dont il ne se sentait pas concerné. Bien sûr, il aurait tendance à prendre le parti des premiers pour avoir vécu longtemps auprès d'eux, mais son engagement s'arrêtait là. Il avait d'autres préoccupations de toute façon. Il avait enfin réussi à trouver un travail – comme serveur dans un bar – et à mettre de l'ordre dans sa vie.

« Born to be wild.Born to be wild. »