Je replace délicatement les papiers en place sur le bureau de Raphaël et je sors de sa chambre, un dernier coup d'oeil pour m'assurer que tout est en place comme au début et je referme la porte. Je sais. Je sais que je devrais me sentir mal, culpabiliser ou je ne sais quoi de fouiller aussi impunément dans les choses de mon cousin, mais je n'y arrive simplement pas. Pourquoi? Parce que ce que lui fait est mille fois pire! Il couvre des massacres, des enlèvements et des expériences sur des êtres humains, d'accord ils ne sont pas normaux, ces humains à moitié divin ou un truc du genre, mais ça ne justifie pas d'enlever la vie, de briser la vie ou de simplement tout foutre en l'air. C'est pour ça que je fais ça et que je me dirige vers ma chambre le plus naturellement du monde pour sortir la vieille dactylo et transmettre les informations à je ne sais qui. J'en profite pendant que Raph est à son travail et pas ici. J'installe le tout et je sens Mr. Doo, c'est mon chien, qui vient se coucher sur mes pieds. Bon, ça l'air compliqué tout ça et pour dire vrai, je ne m'y retrouve pas tellement encore moi-même, j'ai mille et une question et presque pas de réponses et encore moins de personnes pour m'en donner. Par contre, je sauve des vies et pour un docteur, c'est l'important, pour moi, c'est ce qui compte réellement. 'Fin, pour bien vous expliquer ma situation mieux vaut partir du départ, non? Donc, présentation, histoire et tout le reste? Pas de problème, alors voilà...

Je m'appelle Abbie, mon nom complet c'est Abbie Maxlynne Kerrigan, peu commun, je sais. Je suis née à Sydney, en Australie dans une famille assez bien nantie. Je fais partie de cette petite élite frustrante de gens qui semblent naturellement doués à tout ce qu'ils font, vous avez déjà dû en rencontrer, soit à l'école ou dans vos amis, peut-être même votre famille. Enfin, moi c'est le cas. Ma mère m'amenait avec à des cours de natation avant même que je marche, quand j'ai marché, elle m'a inscrit au cricket et à l'adolescence, j'ai fait du soccer et du volley-ball, alors sportive : cochée. Puis j'ai eu des cours de piano, ma mère voulait absolument que je sache jouer d'au moins un instrument, pour commencer, ça a tombé sur le piano. Musicienne? Cochée. Puis il y a eu l'école, où il s'est avéré que j'avais une mémoire photographique, elle n'est pas infaillible, mais je retiens pas mal tout dès que je le vois, résultat : des notes exceptionnelles et des capacités d'apprentissage hors norme. J'ai même sauté un niveau. Intellectuelle? Une nouvelle fois, coché. Vous voyez? Naturellement bonne à tout.

Comme j'ai dit, ma famille est assez bien nantie et assez nombreuse en général et très proche. J'ai entre autre une tante qui vient presque tout le temps nous rendre visite et dire qu'elle habite à quelques maisons de la mienne facilite grandement la chose, elle, elle a un fils, Raphaël, mon cousin. Moi et lui, c'est comme frère et sœur, on s'aime et on se chamaille, tout le temps, mais on est proche, on se raconte tout ou presque. À l'école, après l'école, les devoirs, on fait tout ensemble, enfin presque encore une fois. Il est plus jeune que moi, donc on n'est pas dans la même classe, mais à chaque pause, récréation, on peut nous voir ensemble et ça n'a jamais changé. Enfin, si un peu avec le temps qui passe et les esprits qui maturent, mais jamais en plus mal, toujours en mieux. Je n'ai vraiment pas à me plaindre de ma jeunesse, elle a été joyeuse et animée, comme tout enfant devrait avoir. Je pouvais me mettre dans le pétrin des fois, faire des gaffes ou autres, j'ai été punie, mais j'ai aussi des tas de récompenses et Raph était jamais loin.

Quand j'ai eu dix ans, on a accueilli un nouveau membre dans ma famille. Une petite sœur, contrairement à la plupart des enfants aînés qui se retrouve soudainement avec un frère ou une sœur plus jeune de plusieurs années  et qui redoute leur arrivée, moi j'étais surexcitée! Raph était déjà comme mon petit frère, alors une petite sœur, j'étais très enthousiaste à l'idée de l'avoir, je me voyais déjà l'aider pour ses devoirs ou tout ce qu'elle aurait besoin. Dans ma tête, c'était pour être génial. Aussi j'ai souvent aidé ma mère à s'en occuper et je l'aimais déjà énormément. Je me souviens de la première fois que je l'ai tenu dans mes bras, toute petite et inoffensive, j'ai naïvement dit à ma mère que j'allais toujours être là pour elle, que je l'aiderais tout le temps... J'ai aussi essayé de toujours respecter ces paroles et j'aurais probablement agi comme ça même si je n'avais rien dit. C'est juste que de l'avoir dit fait que je me sens coupable quand je ne peux rien faire pour elle ou quand je néglige, même involontairement ce que je pourrais faire, bon j'ignorais aussi à quel point ce serait difficile de respecter mes paroles, mais ça c'est une histoire pour plus tard.

Donc, j'avais dix ans quand Ellis est arrivée dans la famille et j'ai grandi encore comme une enfant sage les deux-trois années qui ont suivi, mais comme j'entrais dans l'adolescence, j'ai aussi eu ma crise d'adolescence. Ça sonne pire que ça l'était en réalité, vraiment. J'ai juste un tout chamboulé dans mes activités, du cricket, j'ai changé au soccer l'été et l'hiver je faisais du volley-ball à l'école. Du piano, j'ai changé au saxophone, j'aimais le son et la versatilité de l'instrument, bien sûr le piano aussi, c'est un peu l'instrument culte, de base, de référence, mais j'avais besoin d'une coupure entre l'enfance et l'adolescence, donc je changeais, tout. Sauf l'école, ça je suis restée avec les meilleures notes tout le temps, j'étais trop fière d'être meilleure que les autres pour risquer d'être mauvaise à l'école. Aussi je commençais à former mon rêve d'être médecin, plus jeune j'avais rêvé de bien des choses, médecin, vétérinaire, policière, pompière, astronaute, pilote d'avion... De tous, c'était médecin qui était resté.

Évidemment, tout le long de mes études, mes parents étaient plus que fiers de moi et même si des fois j'ai semblé commencer à prendre des mauvaises routes, comme quand je suis sortie avec un garçon à 15 ans, où j'avais été plus attirée par son image de bad-boy qui il était lui-même, ça n'a pas duré très longtemps, quelques mois à peine. Je m'entendais bien avec ma petite sœur et comme dit, je l'aidais avec ses devoirs et les autres choses où elle avait de la misère. Je m'estimais être une bonne sœur et je crois que je l'étais, même si Ellis a mal tourné à l'adolescence. Pour ma part, j'ai terminé avec brio tous mes niveaux scolaires et j'ai été acceptée, à 18 ans à l'école de médecine, pour la plus grande fierté de mes parents. L'école était assez loin de la maison, alors je passais beaucoup de temps en déplacement durant ma première année de médecine, je prenais le transport en commun, alors j'en profitais pour étudier, réviser et tout, mais c'était vraiment taxant, alors à contre-coeur j'ai quitté la maison pour ma deuxième année. Je n'avais pas envie de le faire, je voulais rester auprès de ma sœur et de Raphaël aussi, surtout que ma sœur semblait, je ne sais pas, ne pas aller super bien, je savais que mes parents me donnaient beaucoup d'attention et étaient particulièrement fière de moi. Ellis n'était pas aussi bonne que moi à l'école et plus je recevais d'attention des parents, plus elle faisait de bêtises, alors je voulais rester pour éviter que ça ne s'empire avec son entrée dans l'adolescence. Par contre, en même temps, je ne voulais pas rater mes études non plus et j'ai pensé que mon absence de la maison aiderait peut-être les parents à lui donner l'attention qu'elle voulait...

Alors, j'ai déménagé sur le campus. C'était une toute nouvelle adaptation, j'avais une colocataire qui étudiait en microbiologie et il y avait des partys tout le temps à quelque part... Je dois avouer que je me suis laissée tentée par quelques-uns, mais je me suis rapidement remise à ma place quand j'ai vu une légère baisse dans mes notes, mais je ne regrette nullement d'y être allée, je me suis faite quelques très bons amis en y allant. Entre autre, Isabelle avec qui je suis devenue... très proche, si vous voyez ce que je veux dire, surtout quand les cours devenaient trop stressant, mais c'est toujours resté que purement physique, même si ça m'a aidée à apprendre à mieux me connaître, personne à part Raph ne connaît pour cette petite aventure répétée. Je me demande comment mes parents réagiraient s'ils savaient, ma mère est assez conservatrice dans son genre.

Ma vie semblait vraiment aller pour le mieux, sauf qu'un peu de temps après, j'ai reçu un coup de téléphone de mon père pour m'apprendre que ma tante, la mère de Raphaël était atteinte d'un cancer. Je savais qu'elle consultait depuis quelques temps pour des soucis de santé, mais un cancer? Au plus, il ne devait lui rester que quelques mois, à moins d'un miracle... L'épreuve m'a encore plus rapprochée de mon cousin. À chaque jour, je prenais de ses nouvelles, j'essayais de le soutenir de mon mieux, par contre, le miracle n'a pas eu lieu. Ça été un deuil difficile pour toute la famille et le choc a été difficile pour Raphaël aussi, qui se retrouvait sans parent. Nous nous sommes accompagnés à travers toutes les étapes du deuil et j'en ai aussi profité pour lui présenter la petite sœur de Sébastien, un camarade de classe et du groupe d'étude qu'on s'était fait, qui est devenue une très bonne amie à moi et m'avait souligné trouvé Raphaël mignon après qu'il soit venu me voir une fois. Je dois avouer être assez contente de mon tour d'entremetteuse. Elle a vraiment aidé Raph à travers son deuil, bien sûr, je continuais à être présente, mais parfois il faut quelqu'un de l'extérieur pour panser certains maux. Pour ma part, la perte de ma tante m'a touchée de plusieurs façons, mais entre autre, elle m'a donnée la certitude d'être au bon endroit, d'aller dans la bonne profession.

Par la suite j'ai commencé ma résidence, c'était un tout autre niveau, il y avait enfin de la vraie pratique et j'étais poussée à être de plus en plus autonome. Pas trop un problème pour ma part, j'étais déjà assez indépendante sur le plan personnel. Par contre, à la maison, la situation de ma sœur ne s'améliorait pas, elle devenait tranquillement le mouton noir de la famille, j'avais beau essayer de l'encourager, je savais que j'étais en partie responsable, sans avoir rien fait. Mon succès, mes parents n'avaient d'yeux que moi pour la plupart du temps, j'ai eu beau dire à Ellis qu'on s'en fichait, c'était pas eux qui comptait, mais ce qu'elle voulait et moi je serais là pour la soutenir, mais bon... Notre relation est assez houleuse, c'est moi qu'elle appelle quand elle se met dans le trouble, quand elle a besoin d'aide, mais en même temps, c'est parce qu'elle veut se distinguer, se différencier de moi qu'elle fait ça. J'essaie quand même d'être présente pour elle, c'est ma petite sœur et je l'aime.

J'ai finalement terminé mes études à la tête de ma classe et j'ai facilement été engagée dans l'un des meilleurs hôpitaux de Sydney. Je ne voulais pas partir loin de ma ville, loin de Raph et de Ellis qui continuait de se mettre dans le trouble. J'aimais vraiment énormément ce que je faisais et le côté imprévu du travail aux urgences étaient vraiment passionnant, on ne sait jamais sur quoi on va tomber, une journée peut-être banale, comme on peut voir les cas les plus extraordinaires entrer et avoir la chance de s'en occuper. Je me souviens de ce jeune homme qui s'était empalé sur une clôture en faisant des acrobaties avec son vélo ou de cette vieille dame qui aurait dû être morte et qui est entrée en marchant sur ses pieds... C'est excitant!

Sauf quand on tombe sur des gens qu'on connaît... Sur la famille. Je me souviens encore du téléphone rouge qui sonne, de l'infirmière qui répond à côté de moi pendant que je remplis mes papiers. Elle m'appelle pour me dire qu'un cas d'agression animal sauvage arrive et que ça semble sérieux. Féminin, la vingtaine, inconsciente, lacérations multiples et profondes, éviscération, beaucoup de sang perdu, saignement difficilement contrôlable, pouls à 48, pression 84/56, saturation à 74%, respiration à 12 et difficile, Glasgow 5, IPT 15, je n'ai pas hésité à appeler un interne et le docteur de garde et prévenir la chirurgie. Ça semblait être un cas assez gros et sérieux pour justifier le tout. Je suis allée attendre à l'entrée des ambulances, prête à tout. Ou presque. Quand j'ai vu Raphaël débarqué du véhicule en sang, j'ai vraiment cru le pire, puis j'ai vu son regard horrifié fixé sur la civière, j'ai vu ses lèvres bouger pour dire des paroles enfiévrées que je n'entendais et je l'ai vu tenir une main et je me suis souvenue la victime était de sexe féminin... Oh dieu! Je ne suis plus certaine de ce que je lui ai dit, mais j'ai réussi à le faire lâcher prise. Puis j'ai demandé à une infirmière de s'occuper de lui.

C'était sa petite amie, c'était mon amie. Je ne sais pas ce qui l'avait attaqué, mais l'animal avait laissé un véritable carnage derrière lui. Aussitôt, j'ai commencé à demander pour des médicaments, j'ai aussi demandé pour son dossier, des culots de sang O négatif, faire des lignes, il fallait transfusé du sang, remonter sa pression et son pouls. J'ai demandé un bloc opératoire stat. Les pansements des paramédics commençaient à être imbibés de sang, j'ai demandé à l'interne de s'occuper des plaies aux jambes tandis que j'allais voir l'éviscération. C'était affreux, la sauvagerie avec laquelle elle avait été attaqué! Elle était défigurée, des lacérations aux dimensions impossibles recouvraient son corps et l'éviscération... C'était comme si l'animal avait voulu se nourrir des entrailles, il y avait plusieurs morsures, il manquait des bouts d'intestins, ses reins, le pancréas et le foie semblaient en mauvais état, son utérus, on pouvait l'oublier, le diaphragme était percé et j'avais un accès direct à sa cage thoracique, ce qui restait de son visage et ses mains étaient cyanosés, probablement des dommages au niveau des poumons. À l'auscultation, j'ai pu identifier un pneumohémothorax droit... Comment pouvait-elle être encore en vie? Je l'ignorais, mais je ferais tout ce que je pouvais pour qu'elle le reste. Quand je l'ai assez stabilisée, on l'a immédiatement transférée dans le bloc, c'était au tour des chirurgiens d'opérer leur magie.

Moi j'étais là, je les regardais l'amener, j'étais rendue comme un robot présente, mais absente à la fois. Je suis sortie machinalement avant de me mettre à courir d'un coup, directement vers la toilette la plus près. Tout ce qu'il y avait dans mon estomac est sorti et probablement plus même. J'avais les yeux pleins d'eau, je pleurais... Je ne sais pas quand j'ai commencé à pleurer. Tout ce que je sais, c'est que j'étais en état de choc, je m'étais créée une carapace émotionnelle pour éviter d'être affecté par les cas difficiles, mais là... Ç'avait été trop imprévu et trop personnel. J'avais des flashs, les mains dans les entrailles, la chaleur humaine, le liquide chaud et rouge que je n'arrivais pas à endiguer... L'odeur cuivrée était partout autour de moi, je commençais à avoir froid, je tremblais. Finalement, je me suis regardée, j'étais couverte de sang et il refroidissait. J'ai eu une nouvelle crise de vomissement, même si je n'avais plus rien à rejeter. J'ai pris de grandes respirations pour me ressaisir et je suis sortie de la salle de bain pour aller à mon casier. J'ai jeté mes vêtements et me suis habillée avec mes vêtements normaux, je ne crois pas que ça dérangera quiconque si je tire ma révérence pour le reste de la nuit.

Je suis allée retrouver Raph dans la salle d'attente. Le regard désespéré qu'il me lança me convainquit de ne pas essayer de trouver de paroles, pas que j'aie eu une quelconque intention de le faire. Je me suis assise à côté de lui silencieuse et nous avons attendu. Attendus la mauvaise nouvelle, la nouvelle fatidique. J'étais docteur, je savais pertinemment qu'elle allait mourir sur la table d'opération, son état était beaucoup trop instable, les blessures trop graves... et je crois que Raphaël le savait aussi. Quand finalement l'un de mes collègue vint nous voir, elle était décédée sur la table d'opération. Nous sommes partis ensemble, je l'ai ramené chez moi, je ne voulais pas qu'il retourne seul chez lui ou peut-être que c'était pour moi... Nous avons pris notre douche à tour de rôle, puis il est allé dans la chambre d'invité et je suis allée dans la mienne. Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, quelque chose me dérangeait, c'était impossible qu'un animal sauvage ait pu cause ça en ville, pourtant c'était ce que prétendait Raph... Dans l'fond, je n'avais pas vraiment envie de savoir...

C'était un nouveau deuil à passer au travers, bien sûr j'avais perdu une bonne amie, mais c'était pire pour Raphaël qui se retrouvait une nouvelle fois seul. Au moins Ellis s'est calmée sur les mauvais coups pendant quelque temps ou elle a préféré arrêter de venir me voir pour de l'aide pendant un temps, j'espère que c'était la première possibilité. J'étais toujours là pour lui, on parlait et je lui servais souvent d'épaule où poser sa tête et d'oreille attentive. Je crois que ça lui faisait du bien, mais il semblait quand même s'enfoncer dans une spirale descendante de dépression. Jusqu'à ce qu'un jour, il annonce d'un coup qu'il partait pour les États-Unis. Une offre d'emploi, mais il n'a pas été plus précis qu'il ne le fallait. Évidemment, je l'ai bombardé de question, mais il est resté évasif dans toutes ses réponses et il a déménagé. Je sais qu'on pouvait continuer de communiquer par email et parfois par téléphone, mais... Il me manquait, ça ne faisait pas une semaine qu'il était parti que je ressentais affreusement le vide qu'il avait laissé derrière.

J'ai essayé de continuer à vivre, mais.. Raphaël est mon frère, mon ami, mon confident, mon soutien, mon oreille attentive, je n'arrivais pas à vivre correctement sans lui et puis, je m'inquiétais qu'il se soit isolé aux Amériques pour s'enfuir alors... À peine trois mois après son départ, je suis allée le rejoindre. À New York! The Big Apple! Je n'ai vraiment pas regretté, j'étais tellement heureuse de le retrouver et peut-être qu'une vraie distance aiderait ma sœur à se rendre compte qu'elle devait se prendre en main, elle était quand même rendue à 17 ans. Bon, j'ai dû faire quelques ajustements aussi repasser des tests pour que mes cours de médecine soient reconnus, mais ce ne fût pas un problème. Je me suis trouvée un travail dans un hôpital prestigieux. Comme nous étions deux nouveaux dans le pays, nous avons décidé de cohabiter ensemble, nous avons trouvé un super appartement grand et spacieux, trois chambres et chacun avec nos salaires, on pouvait se le permettre et le propriétaire permettait les chiens! J'ai toujours été une grande fan de ces animaux, enfant mon émission préférée était Scooby-Doo et un matin, en revenant d'une nuit de travail, j'ai trouvé un grand danois abandonné, bébé, alors je ne me suis pas gênée de le prendre avec moi.

Toutefois, Raphaël ne voulait toujours pas me parler de son travail. Je ne comprenais pas pourquoi non plus, je sais qu'il avait réussi à trouver un poste au gouvernement, mais dans quoi? Qu'est-ce qu'il devait faire? C'était quoi ses responsabilités? Ses réponses étaient toujours vagues et évasives, le mieux que j'ai obtenu, c'était qu'il aidait à la communication, mais de quoi? Aucune idée! Et dire qu'avant on se disait tout, c'était un peu poussé de ne rien pouvoir me dire. J'avais l'impression de le perdre tranquillement et je n'aimais pas ça, alors j'ai commencé à fouiné, ici et là. Regarder son courrier avec un peu plus d'attention, écouter à sa porte quand il s'enfermait dans sa chambre... Vous voyez le genre de choses dont je parle? Par contre, c'était rien de très concluant. Sauf une fois, je suis rentrée à la maison en plein après-midi et j'ai trouvé Mr. Doo, mon chien, dans sa chambre, on venait tout juste de l'avoir, à peine une semaine et il n'était pas supposé aller dans les chambres, alors je suis évidemment allée le chercher en le chicanant, c'est alors que j'ai vu plusieurs documents éparpillés sur le bureau de Raph, normalement propre et ordonné. Curieuse, j'ai jeté un coup et j'ai vu qu'ils étaient tous identifiés au D.L.C.E.M. N'ayant jamais entendu parler de ça, j'ai commencé à regarder un peu plus, tous les documents étaient identifiés à ce nom. Ce que j'ai lu m'a dégoutée...

C'était un rapport scientifique à un supérieur, je n'avais jamais vu les noms indiqués, mais ce qu'il racontait me levait le cœur, me donnait la nausée... Les documents, ils décrivaient des expériences faites sur des êtres humains, vivants! Ça parlait aussi de pouvoirs surnaturels, de créatures mythiques, des dieux grecs et romains... Je n'ai pas vraiment cru ce que je lisais, c'était tellement irréel, j'ai toujours cru à la science, que tout peut être expliqué par la science. C'était un mauvais poisson d'avril dans le mauvais mois ou quoi? Par contre, tout semblait authentique, un véritable rapport de laboratoire, fait dans les règles, avec les petites notes supplémentaires du scientifique pendant qu'il faisait son expérience... Pauvre victime, elle avait dû souffrir, j'en avais les larmes aux yeux simplement à lire. Je n'ai pas pu m'empêcher de regarder plus loin, dans les tiroirs, sur tous les papiers... J'ai dû passer deux heures dans la chambre de Raphaël, ce qui m'a convaincue, c'est un talon de paie que j'ai trouvé, au nom de Raphaël avec l'insigne du D.L.C.E.M. Donc tout était vrai, mais que voulait dire cet acronyme? Et toutes ces personnes qui souffraient? Raphaël Gabriel Kerrigan... Dans quoi t'es-tu embarqué?

Je suis allée m'enfermer dans ma chambre. Je ne l'aurais jamais cru capable de faire quelque d'aussi affreux, de faire partie de ça. Aussi tout ce monde mystérieux, c'était quoi? J'ai commencé des recherches, sur internet pour commencer, mais tout ce que je trouvais était relégué au stade de légende et de mythes, apparemment les organisations secrètes ne mettaient pas leurs informations sur un site internet facile d'accès. Je n'avais pas le talent de mon cousin pour chercher sur l'internet et je n'étais pas prête de lui demander de l'aide. Du coup, j'ai commencé à aller à la bibliothèque et poser des questions autour, discrètes et je portais attention à ce que j'entendais. Je n'ai pas arrêté d'aller fouiller dans les documents de mon cousin quand il n'était pas à la maison et j'en apprenais toujours un peu plus, j'ai aussi remarqué qu'il créait des couvertures médiatiques pour des évènements comme des descentes policières qui n'en étaient pas, de fausses émeutes, des attaques d'animaux, mais tout était faux. J'ai même réussi à trouver parfois des informations sur des missions qui ne s'étaient pas encore produites, alors j'ai essayé d'aller aider les gens présents, mais la plupart du temps j'arrivais à temps pour voir la scène se dérouler, impuissante. Par exemple, à chaque fois je ne voyais rien qui sortait de l'ordinaire, ça devait être cette Brume qui voilait le tout à mes yeux...

Bon, j'essayais de rester discrète, mais apparemment je n'étais pas aussi bonne que je le croyais parce que je me suis fait contacter par une étrange personne, Aaron Morgan. On aurait dit une rencontre parfaitement banale, je promenais Mr. Doo à la même heure que d'habitude et je me suis arrêtée au même banc, avec mon café et le journal du jour en main quand il s'est assis à côté de moi. Il a commencé par lancer une conversation anodine sur la température avant de finalement parler de Mr. Doo, gentiment couché à mes pieds. Si au début je le trouvais étrange de me parler simplement comme ça, j'ai tout de suite délié ma langue quand il a parlé de mon petit bébé. Rapidement, il s'est présenté et m'a même donné son numéro, vu que j'étais nouvelle en ville, puis il m'a donné rendez-vous un autre jour dans un café en me disant qu'il aurait quelque chose à me montrer. Aaron était incroyablement gentil, mais j'aurais probablement refusé, s'il n'avait pas parlé de la mythologie. Aussitôt j'ai accepté. C'est quelques jours plus tard que nous nous sommes retrouvés dans un chic petit café où il m'a parlé de tout et de rien, jusqu'à ce qu'il me propose d'aller visiter un autre endroit, il m'a amené dans un bois, loin de toutes technologies, il m'a même demandé de fermer mon cellulaire et mon téléavertisseur. Puis il m'a raconté ce qu'il faisait, qui il était en quelque sorte tout en restant vague... J'ai pu lui poser plusieurs des questions qui me dévoraient l'esprit et dont les réponses étaient introuvables. Ensuite, je lui ai confié comment j'ai découvert tout ce monde secret et je lui ai parlé du D.L.C.E.M., il m'a dit ce que c'était, le Département de Lutte Contre les Êtres Mythologiques. Il m'a raconté pour qui ils étaient un danger et j'ai demandé, enfin, plus exigé pour aider, même si c'était mon précieux cousin qui travaillait là-dedans, c'était contre tous mes principes. Je ne pouvais pas accepter cela et même si ça m'opposait à lui, je le ferais... Aaron m'a alors dit qu'il trouverait un moyen pour que je puisse aider.

Je suis retournée chez moi et j'ai continué à glaner des informations quand je le pouvais, mais une chose de plus m'intéressais cette fois-ci. Aaron m'avait mentionné un objet particulier : des lunettes. Des lunettes qui permettaient de voir le monde invisible, caché par la Brume, apparemment chaque personne qui travaille dans ce département en avait, sauf les personnes qui pouvaient naturellement voir à travers la Brume. Bon, c'était risqué, si je les prenais pour moi et que Raphaël les utilisait, il remarquerait leur disparition, sinon, il n'y en avait peut-être simplement pas. C'est dans ces moments-là que je suis vraiment heureuse d'avoir ma mémoire photographique, je pouvais entrer dans la chambre, regarder comment c'était, fouiller et tout remettre en ordre exactement comme c'était.  Vraiment pratique, croyez-moi. J'ai fini par les trouver, ces fameuses lunettes et je crois que Raph ne les utilisait pas, elles étaient encore emballées comme neuves. Quelques possibilités s'offraient à moi sur cette raison, il pouvait en avoir besoin s'il devait aller dehors, mais à cause de son poste plus bureaucratique, il ne les utilisait pas, aussi ça pouvaient être des lunettes de rechanges ou il n'en avait tout simplement pas besoin. Après, on aurait dit que c'était un ensemble de démarrage ou de bienvenue la boite où je les avais trouvées. Vraiment super, cela voulait dire que l'organisation était assez grosse pour donner des ensembles de bienvenue en vrac avec le joli petit slogan : 'Bienvenue au Département nous tuons et faisons des expériences sur des êtres vivants, voilà votre de kit de débutant'. Bon, c'était pas franchement rassurant cette idée, j'espère que c'était seulement parce qu'il n'avait pas besoin de les utiliser.

J'ai tranquillement continué de vivre ma nouvelle vie à New York, malgré toutes les nouveautés. J'avais un nouveau regard sur Raph, mais en même temps, je n'arrivais pas à le détester, le mépriser ou quoi que ce soit. C'était mon cousin, mon frère, mon ami et depuis que j'étais toute petite, je ne pouvais pas simplement effacer ça. Il devait avoir une raison pourquoi il faisait tout ça, même si je ne savais pas quoi, mais quelque chose me dérangeait, comme si j'auvais dû savoir, comme si je savais ou devais savoir la raison, mais rien ne me revenait pas... Aaron m'a rapidement recontacté à propos du moyen pour aider qu'il m'avait promis. Nous nous sommes revus dans le même café, avant qu'il ne m'amène ailleurs pour me donner une vieille dactylo noire, j'étais assez surprise au début, mais il m'a promis qu'elle donnerait les informations aux bonnes personnes. Puis nous nous sommes quittés, je suis rentrée chez moi avec la mallette contenant la machine. Une fois dans ma chambre, j'ai fermé la porte et je l'ai installée sur mon bureau pour envoyer des informations pour la première fois. Je n'ai rien demandé, à part si l'information avait été reçue et j'ai été répondue par un simple 'Reçu'. Je ne sais pas pourquoi j'ai été aussi surprise de voir la réponse, après tout si je pouvais envoyer des informations, je pouvais en recevoir, non? C'était peut-être parce que tout ce monde extraordinaire était si éloigné de ma perception du monde que j'avais si longtemps entretenu. Eh merde! C'était une foutue dactylo! Une vieille machine à écrire, c'était tout ce qu'elle faisait écrire! Et voilà que soudainement, quelqu'un, quelque part, avec des supers pouvoirs magiques, l'avait transformé en mode de communication ultra-secret pour échanger des informations sur une organisation gouvernementale toute aussi secrète... Je crois que je me serais cogné la tête sur les murs si je n'étais pas en plein milieu de toute cette histoire.

Je ne sais pas avec qui je communique, je fais confiance à Aaron sur ça, point à la ligne, parce qu'après tout je cohabite avec un des membres du D.L.C.E.M., si je venais à être compromise, je ne voulais avoir d'informations sur les personnes que je voulais protéger... Oh dieu. Oh Mon Dieu! Qu'est-ce qui se passerait si je venais à l'être? Compromise? Petite sotte! Je n'y avais pas pensé avant maintenant... Pour l'instant tout allait bien mais... Qu'est-ce qui arriverait alors? Je me ferais enlever? Expérimentée dessus? Je passerais des tests de détection de mensonge? Je me ferais torturer? Non, ce n'était pas ça la question... La question était plutôt, est-ce que je pourrais arrêter? Sachant que je sauve des vies en faisant ce que je fais présentement? Sachant que si j'arrête, les massacres du D.L.C.E.M. pourraient empirer? La réponse, mon cœur et ma tête s'entendaient dessus, non, je ne pouvais pas arrêter... Ça aurait été contre tous mes principes, toutes mes convictions, tout ce que mon cœur me dictait et tout ce que ma tête avait appris : sauver des vies. Alors, ce qui devrait arriver, arriverait en temps voulu et je pallierai à ce moment-là. C'était comme sauvé une vie, il y avait des blessures dangereuses pour la vie présentement devant soi et des risques de complications et d'aggravation, mais on ne pouvait pas se soucier des complications qui n'étaient encore qu'à venir, il fallait traiter le problème principal du moment, les complications se seraient quand elles pointeraient le bout de leur nez si ce futur était celui qui se réalisait.

J'ai confié tout cela à Aaron lors de l'une de nos rencontres au café, devenu une habitude en quelque sorte. Il était devenu un allié et un ami précieux. Il m'a malheureusement aussi annoncé qu'il partait pour San Francisco, il avait des responsabilités là-bas et des gens à aider qui ne bénéficiait pas tout à fait de la même aide que les gens de New York. Il m'a demandé s'il pouvait transmettre mon nom à quelques personnes clés, quand ils auraient des problèmes, il viendrait me voir, surtout au niveau médical, jusque-là c'était lui qui s'en occupait, mais comme il partait, il voulait que ses patients puissent avoir une personne de confiance pour les traiter. Évidemment, j'ai accepté. Alors, mon ami est parti pour l'autre grande ville et je me retrouvais seule à New York avec de grandes responsabilités sur les épaules, mais ça ne me faisait pas peur. J'étais médecin-urgentiste, chaque jour j'avais littéralement la vie de mes patients entre les mains et j'étais celle qui donnait les ordres pour que cette vie ne s'échappe pas. Pour ces demi-dieux, leur vie était tout autant entre mes mains, simplement, je ne les ai jamais rencontrés.

Alors, voilà ma situation, je suis médecin-urgentiste, je travaille dans un hôpital assez prestigieux de New York et je prends parfois des patients sans médecin de famille, mais très peu parce que je veux me consacrer surtout à mon travail à l'urgence. Je cohabite avec mon cousin qui travaille pour une organisation secrète du gouvernement chargé de tuer et d'expérimenter sur un monde généralement voilé aux yeux des humains. Ce monde invisible, c'est la culture grecque et romaine qui existe encore aujourd'hui, avec les dieux et tout. Leurs enfants parcourent le monde en plus des monstres de chacune de ces mythologies. Moi, j'espionne mon cousin et je transmets les informations que je réussis à avoir via une vieille machine à écrire magique. Eh oui, une histoire assez folle pour écrire un livre!