The wind was sweet and smelled of home.
☞ BOAT SONG.
Alexander -plus communément surnommé Alex par son père Francis Anderson- est né à New York. Il n'a jamais connu sa mère, mais son père arrivait très bien à jouer les deux rôles à la fois. Monsieur Anderson était un historien renommé qui arrivait toujours à trouver du temps pour son fils entre deux recherches ou articles à rédiger; de ce fait, le jeune garçon n'a jamais manqué de rien. Du moins, il n'a jamais ressenti un quelconque manque de quoi que ce soit. Il fallait dire que malgré son jeune âge, Alexander s'est toujours montré comme un enfant d'extrêmement mature et discipliné; il ne faisait jamais de caprices quand une de ses nourrices ou son père lui disait non, ne faisait jamais de bêtises (ou presque jamais), rangeait sa chambre sans rechigner, se proposait tout seul pour mettre le table. Bref; il était un enfant modèle. Assez silencieux et solitaire, il n'était pas rare qu'il passe la journée enfermé seul dans sa chambre à jouer avec ses jouets, repoussant la compagnie de ses nourrices qui se retrouvaient alors avec pour simple occupation de le regarder s'amuser sans rien dire, histoire de le garder à l'oeil parce qu'on ne savait jamais ce qu'il pouvait arriver. Ouais, on ne savait jamais comment les choses pouvaient tourner. Du moins, jamais à cent pour cent.***
Tout n'était que silence dans le loft spacieux des Anderson, situé en plein coeur de New York. Assis sur un fauteuil et occupé à regarder la vue par la fenêtre, Francis ne vit pas son fils de six ans entrer dans la pièce. Il ne le vit pas non plus s'asseoir à côté de lui. Par contre, il l'entendit quand il l'appela d'une toute petite voix;
« Dis papa? » Le père fut pris d'un violent sursaut, ce qui en d'autres circonstances aurait fait rire le fils; mais ce soir là, Alexander était sérieux. Beaucoup trop sérieux du haut de ses six ans et de son petit mètre dix.
« Qu'est-ce qu'il y a? » Francis connaissait assez bien son fils unique pour savoir quand quelque chose tracassait ce dernier. Et actuellement, Alexander avait une question à lui poser; il pouvait le voir dans la façon dont l'enfant tortillait ses doigts. Son hyperactivité se manifestait toujours d'autant plus dans ce genre de situation quand de la vie quotidienne. La nervosité bien prononcée de son fils rendait toujours son hyperactivité plus incontrôlable que d'ordinaire.
« Pourquoi y a aucune photo de maman à la maison? » Boum. La bombe était lâché. Balançant ses jambes dans le vide d'un air innocent, Alexander releva les yeux vers son père, son héro, espérant une réponse. Francis ne fut pas surpris; il savait que cette question serait posée un jour. Il s'attendait juste à ce que son fils l'aie posé plus tôt; encore une fois cette attente était un signe de la maturité bien présente chez son enfant prodige.
« Elle était comment? » Maintenant qu'il était sur sa lancée, le petit ne comptait pas s'arrêter! Toute sa vie, il s'était demandé pourquoi tous ses amis à l'école avaient une maman et pas lui. Elle était où la sienne? Pourquoi elle ne venait jamais les voir? Est-ce qu'elle était morte? Si oui son père pourrait le lui dire, il ne pleurerait pas! Il était un grand garçon! Monsieur Anderson eut un sourire tendre qui fit ressortir ses fossettes et ses quelques rides. Avec affection, il posa une main sur la tête brune de son fils et lui répondit calmement;
« Tu sais, je ne me souviens pas très bien. C'était il y a longtemps après tout, on ne s'est vus qu'une seule fois! » Soudain le regard de l'homme se fit plus malicieux, plus mystérieux. Il se pencha en direction du petit garçon et lui souffla;
« Le moment venu tu sauras. » Une seconde plus tard, il avait reprit son sérieux et lançait à son fils d'un ton sans appel;
« Maintenant va ranger ta chambre, elle est dans un désordre digne du bazar d'Istanbul! » ***
La professeure venait de poser une question à la classe et, bien évidemment, le seul à lever la main fut Alexander. Comme toujours me direz-vous. Droit comme un I, l'air sérieux, il attendait patiemment d'être interrogé afin de pouvoir prendre la parole; il était bien élevé et son père lui avait toujours dit d'être respectueux. Il était alors âgé de huit ans. Le petit garçon entendit la fille derrière lui siffler d'un air agacé;
« Pffff de toute façon il sait toujours tout. Il est trop énervant! Pourquoi il peut pas être normal comme nous? » L'enfant ne le montra pas, mais cette pique l'atteint plus qu'il ne l'aurait voulu. Depuis qu'il avait commencé à aller à l'école, le garçon se sentait de plus en plus en marge de ses camarades; il avait l'impression d'être incapable de se sociabiliser avec eux, et se sentait séparé d'eux par une muraille infranchissable. Les seules personnes avec qui il parlait à l'école était les professeurs et autres adultes; ils étaient les seuls avec qui il pouvait converser convenablement. Si il se sentait seul? Bien sûr! Tout enfant avait besoin de se sociabiliser afin d'être apte à la vie en société; Alexander, lui, passait la plupart de ses récrés dans le salle de classe à lire, attendant simplement que la cloche daigne sonner afin de pouvoir reprendre le cours. Car bien sûr, il adorait l'école; là où ses camarades rechignaient à se lever le matin il était déjà prêt.
***
L'année suivante, quand Alexander eut ses neuf ans, il commença à faire un peu plus d'efforts. Il tenta d'arrêter d'être toujours le premier à lever la main en classe; il faisait en sorte d'avoir l'air "normal" pour les autres enfants. Enfin, il tentait de se faire des amis quoi; car il fallait bien qu'il en aie. La solitude commençait à peser lourd sur son petit coeur d'enfant. Il n'avait personne avec qui jouer aux jeux vidéos, personne avec qui il pouvait aller acheter des bonbons à la boulangerie et se les partager équitablement en même temps qu'ils traversaient la route.
Une femme entra dans la salle de classe, coupant court aux pensées du petit garçon et aux discussions des élèves. C'était une vieille femme avec des lunettes, une peau parcheminée de rides, des petits yeux noirs ronds comme des billes, brillant d'une lueur malfaisante. Elle se tenait légèrement courbée, certainement à cause de l'âge. Son sac était noir, aussi noir que l'énorme grain de beauté ayant élu domicile au beau milieu de son front. Quand elle leur sourit, les élèves frissonnèrent; ses dents étaient dans un sale état.
« Bonjour les enfants. » Sa voix grinçait comme une porte mal huilée; Alexander lui-même eut une petite grimace en l'entendant parler, étant pourtant habitué à restée poli à l'encontre de tous ses interlocuteurs quels qu'ils soient. La vieille femme continua d'une voix assurée mais chevrotante à cause de son âgé avancé;
« Je suis madame Goodbone remplacerais madame Parker aujourd'hui puisqu'elle est malade. Non ne savons pas dans combien de temps elle reviendra, en attendant nous travaillerons donc ensemble. Sortez vos cahiers! » Tous les enfants échangèrent des regards entre eux. Madame Parker, malade? Mais elle n'était jamais absente! Cela devait être extrêmement grave pour qu'elle ne vienne pas!
Madame Goodbone (bon sang même son nom donnait froid dans le dos) était très bizarre. Alexander se sentait mal à l'aise en sa présence, comme si elle était une menace pour lui. A chaque fois qu'il relevait la tête pour regarder ce qui était écrit au tableau afin de le recopier sur son cahier, elle était en train de le regarder et lui adressait un de ces sourires qui donnaient des haut-le-soeur tant ils étaient impossibles à regarder. Des fois, elle venait à côté de lui pour regarder ce qu'il avait écrit, posait une main sur son épaule et se penchait un peu; le petit garçon avait l'horrible impression qu'elle reniflait son odeur comme un chien reniflerait le pâté que ses maîtres venaient de lui servir.
Alexander réussit à avoir un peu de répit; il demanda l'autorisation d'aller aux toilettes et fila quand la professeure accepta. Sans demander son reste, il fila comme un voleur s'enfermer dans une cabine, profitant de ces instants de paix. Il ne savait vraiment pas quoi penser. Pourquoi se comportait-elle comme ça avec lui et pas avec les autres? Qu'avait-il fait pour mériter son attention? Il détestait qu'on le touche comme ça! Alexander finit par ressortir de la cabine après quelques minutes passées à réfléchir, mais il se stoppa net quand il vit ce qui l'attendait. Madame Goodbone était là, dans les toilettes des garçons, à l'attendre patiemment.
« Tu sais que tu sens très bon? » Son ton n'avait plus rien de grinçant. A vrai dire, elle n'avait même plus l'air d'une vieille et horrible femme; elle avait des serres d'oiseau, des aigles et semblait plus hideuse encore que tout à l'heure. Pâlissant, Alexander tenta de faire quelques pas en arrière; il dût s'arrêter quand son dos entra en collision avec le mur. La remplaçante (était-elle seulement vraiment venue remplacer madame Parker?) continua d'avancer lentement, le regardant avec délice et voracité. L'enfant se sentit complètement démuni, n'ayant aucune prise ce qu'il se passait.
« Tu as une odeur très prononcée.... tu respires l'intelligence, la détermination. » Il ne savait pas vraiment si c'était un compliment. Il aurait préféré puer comme un porc malade pour ne pas qu'elle se soit approchée de lui comme ça. Il aurait tout donner pour être gros et dégoûtant afin de chasser cette monstruosité loin de lui.
« Cela ne m'étonnerait pas de te savoir enfant d'Athéna, petit demi-dieu. Mais bon, tu ne vivras pas assez longtemps pour le savoir, malheureusement pour toi! » Demi-dieu? Enfant d'Athéna? Mais de quoi est-ce qu'elle parlait?! Bon sang, c'était insensé!
Alors que la vielle harpie dévoilait ses crocs horriblement pointus, un fracas sourd se fit entendre derrière eux.
« BAS LES PATTES ESPÈCE DE VIELLE HARPIE DEVERGONDEE! » La voix parut lointaine à Alexander, avant qu'il ne remarquer cette silhouette qui avançait en courant... que dis-je en galopant! La personne qui venait de crier ces mots grossiers était en réalité le concierge de l'école, monsieur Rockwood! Il avait retiré sa casquette (qu'il gardait toujours) et... son pantalon également. Cependant, le garçon comprit rapidement pourquoi; monsieur Rockwood avait des cornes et des jambes de chèvres.... S'en fut trop pour l'enfant qui déconnecta complètement. Sérieusement, c'était quoi ce bazar? Quand il vit le concierge aux jambes de chèvres se lancer sur madame Goodbone, avec une batte de baseball dorée dans les mains, Alexander ne sut pas s'il devait se sentir soulagé ou stressé. Quand, au bout de longues minutes de lutte entre le concierge et la remplaçante, cette dernière disparut en une espèce de poussière dorée, Alexander s'autorisa à soupirer de soulagement, avant de blêmir.
C'était quoi ce bordel? Il rêvait n'est-ce pas?Monsieur Rockwood l'aida à se relever, puis épousseta ses vêtements couverts de poussière. Les toilettes avaient été complètement ravagées par cette lutte acharnée, et Alexander n'osait même pas ne serait-ce qu'imaginer le prix des réparations. Il préférait fuir à vrai dire. La concierge aux cornes de bouc finit par dire, brisant le silence angoissé;
« Je te ramène chez toi p'tit gars, ton père a à te parler. » Le petit garçon tourna la tête vers lui, l'air effaré. Pendant une seconde il resta silencieux avant de demander d'un ton très surpris;
« V-vous connaissez m..mon père? » Monsieur Rockwood sourit brièvement et hocha positivement de la tête, avant de pousser un peu Alexander à avancer, lui lançant d'un ton on ne peut plus sérieux;
« Il faut se dépêcher, d'autres vont peut-être venir. » Ces paroles suffirent à faire avancer très rapidement le petit garçon traumatisé par ces évènements; il se demandait toujours pourquoi monsieur Rockwood avait des jambes et des cornes de bouc, et pourquoi madame Goodbone avait des serres et des ailes (et des crocs de carnivore) mais il était intelligent, et se doutait bien que ce n'était pas le moment de poser autant de questions.
***
« Ta mère est Athéna. Déesse de la sagesse et de la stratégie guerrière. » Voilà. Il savait maintenant. Le petit garçon savait qui était Athéna, il était même très calé en mythologie grecque; cependant il n'y croyait pas. Ou plutôt ne
voulait pas y croire. Il savait que les dieux n'existaient pas, que c'était des inventions de personnes ayant besoin de croire en quelque chose, d'avoir l'impression de pouvoir contrôler la nature et de ne pas être livrés à sa merci.
« ... je ne te crois pas. » Pourtant si, une petite voix au fond de lui lui disait que son père avait raison. En retrait, monsieur Rockwood (qui avait remis sa casquette, son pantalon et avait repris sa béquille) souffla d'une voix qui se voulait encourageante;
« Il dit la vérité Alexander. C'est pour ça que cette... harpie t'a attaqué; elle a sentit ton odeur de demi-dieu. » Cela expliquait beaucoup de choses. C'était donc pour ça qu'elle avait parlé d'odeur, d'Athéna, de demi-dieu.... c'était incroyable. C'était fou. C'était malsain. Il avait l'impression d'être plongé dans un rêve; tout semblait tellement irréel et fragile!
« Mais... » Sa voix trembla et sa gorge se serra: il dut recommencer après un court instant de silence;
« Je ne comprends rien! Je ne veux pas être un demi-dieu moi! Je veux rester ici et avoir une vie normale! » Alexander lança un regard suppliant, comme si ce dernier y pouvait quelque chose. Le garçon ne voulait pas être spécial. Il voulait être normal.
Normal. Avoir des amis, aller à l'école, il ne voulait pas passer sa vie à fuir des montres qui voulaient le dévorer! Francis Anderson sentit la détresse de son fils et s'accroupit à sa hauteur. De là, il posa ses deux mains sur ses épaules et plongea son regard dans le sien, un sourire tendre collé aux lèvres.
« Mon garçon, tu dois partir à la colonie. Il y a plein de gens comme toi et de ton âge là-bas. C'est bientôt les vacances d'été, je dirais à l'école que je t'ai envoyé en voyage linguistique quelque part, et tu reviendras à la rentrée! Comme ça tu apprendras ce que tu es, et tout ce que tu peux faire! D'accord? Je te promets qu'à la rentrée je viendrais te chercher. Je fais ça pour ton bien. On fait comme ça? » Finalement, le fils d'Athéna hocha de la tête, acceptant son sort. Il était un demi-dieu. Il était le fils d'une déesse.
14 ans.18 ans.25 ans.30 ans.