Elle dormait tellement bien pourtant, cette nuit là. Elle ne savait même pas ce qu’il s’était passé, comment elle avait pu changer de lieu sans s’en rendre compte, pourquoi surtout. Enfin ça n’avait pas été tout de suite ses préoccupation. Ofelia se reposait de sa non-activité de la veille. L’air s’engouffrait dans ses cheveux et lui permettait de supporter une chaleur qui se faisait de plus en plus pesante – et ça n’irait pas en s’arrangeant dans les prochains mois. Elle était bien, malgré le support peu confortable sur lequel elle se reposait à présent. Des nuits à dormir à même le plancher, elle n’en avait pas encore tellement passées. Mais là, la fatigue l’avait attrapée et alors elle se fichait bien de ce qu’était devenu son lit. Elle était partie trop loin dans son sommeil pour se rendre compte de quoi que ce soit, lovée contre le corps qu’elle prenait pour celui de Lilly.
Elle avait rêvé de longs marécages, d’une nature qui avait prit le dessus sur la civilisation. Peut-être avait-elle trop regardé de films ces derniers temps. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait.
Il lui était déjà arrivé de se retrouver perdue à son réveil. De ne pas reconnaître la chambre dans laquelle elle couchait, que ce soit quand elle passait un week-end au manoir de Lilly ou lorsque, plus rarement encore, elle retournait à l’appartement de sa défunte mère. D’être prise de panique parce qu’elle ne se souvenait pas instantanément de comment elle s’était retrouvée là et parce qu’elle ne reconnaissait parfois même plus les lieux. Mais ça passait au bout de quelques secondes dans le pire des cas. Ici, lorsque elle ouvrit enfin les yeux, réveillée par un son inhabituel au cœur de New-York, le sentiment d’avoir manqué un épisode de sa vie ne partait toujours pas. Parce qu’elle avait réellement raté quelque chose. La nature qui s’était imposée à elle en rêve était toujours là au réveil. Elle tenta de forcer ses paupières à se fermer et à se rouvrir, mais chaque fois la vision ne changeait pas. Et l’air lui faisait comprendre qu’elle n’était pas face à un écran. Elle était bel et bien sur le terrain.
Tout mouvement lui fut limité, presque interdit. Quand elle baissait les yeux pour en connaître la raison, elle vit ses poings et pieds liés, obligée de rester contre le support sur lequel on l’avait placée. Pour l’instant. Regardant autour d’elle, elle portait son attention sur le jeune homme qui l’accompagnait. Sa tête lui disait vaguement quelque chose, peut-être l’avait-elle déjà croisé à la Colonie auparavant. Mais pour l’instant ce n’était pas le plus important. Il ne manquerait plus qu’Ofelia finisse six pieds sous l’eau, comme l’autre fêlée du même nom dans Hamlet. Elle avait prévu une mort plus héroïque pour elle. Et celle-ci n’était pas prévue pour aujourd’hui.
Dans la poche de son pantalon, entre ses fesses et les planches, il devait y avoir quelque chose. Mais elle pouvait bien jouer des épaules, elle n’arrivait pas à atteindre sa cible, ses bras n’étaient pas assez souples, surtout avec les poignets attachés. «
Écoute toi, » dit-elle enfin à l’intention de l’autre bonhomme avec elle. «
Rien de salace dans ce que je vais te dire, je ne suis pas d’humeur, mais tu peux tenter de me palper la poche arrière s’il-te-plaît ? » Elle n’était pas courtoise tous les jours, surtout avec des presques inconnus et encore plus dans ce genre de situation, pour peu qu’on la connaisse, on pourrait se sentir flatté. Mais il y avait plus urgent à faire.
D’autant plus qu’Ofelia ne savait pas ce qu’il y avait sous la surface, les mouvements qu’elle percevait ne lui disaient en tous cas rien qui vaille. De toute façon, elle voulait juste rentrer. Elle ne voyait pas pourquoi on l’aurait foutue là, elle. Si c’était juste le délire d’un monstre ou d’un autre sadique, elle avait bien l’intention de le lui faire payer.