Ofelia était retournée à l’appartement de sa mère. Elle aurait pu continuer à le louer, histoire de grossir ses revenus. Mais elle aimait bien pouvoir y retourner quand elle le souhaitait. Ça lui permettait de faire des pauses au milieu de tous ses séjours dans l’appartement nickel de Lilly. Ça lui donnait l’impression d’avoir un vrai chez elle. D’avoir juste ses propres lois pépère. Elle pouvait y inviter ou y dégager tout ce qu’elle voulait. Et si elle avait envie de passer la soirée à fumer de l’herbe et boire une bonne bouteille devant un film d’animation Disney. Ce soir, pour fêter la saison et les possibles chutes de neige qui ne tarderaient peut-être pas, ce serait La reine des neiges. Alors oui, elle regrettait qu’Hillel ou Abby ne soient pas là, mais elle n’était pas obligée de partager sa marchandise, donc ce n’était pas si mauvais dans le fond. Elle passait un bon moment toute seule. Un si bon moment - et tellement pétée aussi, ça devait jouer - qu’elle s’endormit avant d’arriver à la moitié du film. Son dernier souvenir était Oaken et sa famille dans le sauna.

Quand elle eut l’impression qu’elle ouvrait à nouveau les yeux, elle se dit qu’elle n’aurait peut-être pas dû fumer autant. Son premier réflexe fut de chercher la télécommande entre les coussins d’un canapé qui ne ressemblait plus trop à celui qu’elle avait chez elle. Le porno OK, mais le porno bizarre elle le laissait à Hillel. Puis elle réalisa que même si elle trouvait la télécommande, ce ne serait pas efficace. Il n’y avait pas d’écran. Et d’accord, la 3D avait fait des progrès, mais là il ne fallait pas pousser. « La dernière fois que je me suis sentie aussi gênée, ma mère était en train de s’envoyer en l’air avec mon petit-ami dans la limousine de location après le bal de fin d’année au collège. Et c’était moi qui conduisait… je crois. » Elle ne savait pas s’il s’agissait d’un vrai souvenir, ou si la beuh l’avait un peu modifié, ou si elle l’avait pioché dans l’un des épisodes de série qu’elle s’était envoyé au cours du dernier mois. Haytham exprima son malaise, et Ofelia s’aperçut qu’elle n’était plus toute seule devant Elsa et sa troupe. C’était une toute autre ambiance. « Moi je commence à m’y faire. Ça, c’est l’esprit de Noël que j’aime. » Forcément, elle ne savait pas ce que ça voulait dire, d’avoir une famille. Alors le délire un peu cucul, elle n’y était pas trop dedans. Son regard resta bloqué sur l’action en face d’elle. Elle avait un moment de blanc. C’était surréaliste et délirant. Ses oreilles lui disaient qu’il fallait sauver le Père Noël. Elle leva les yeux, et vit le vieux bonhomme pas très joyeux luron. Lui, ça devait pas lui plaire, les gang-bang à lutins. « Moi ça me dérange pas si Noël n’avait plus lieu… peut-être que j’économiserais plus… quoique. J’aime bien peloter les bonshommes déguisés dans les supermarchés devant des dizaines d’enfants. J’en suis. » Elle se tourna ensuite vers Haytham. « Toi, t’as besoin d’un bon pétard. Dé-stresses, ça va bien se passer. » Elle s’apprêtait à rire, quand un autre personnage la devançait. Et quand elle vit que la bonne femme se foutait un peu de sa gueule, elle attrapa son chausson et le lui balança en pleine poire. « Weesh ! »

Noël approchait, Tristan l'avait bien vu avec toutes les décorations qui recouvraient lentement New-York. Aux coins des rues, dans les vitrines, sur les lampadaires ou accrochées aux balcons, les guirlandes et autres décorations bien brillantes venaient illuminer la Grosse Pomme. Et Tristan se demandaient bien ce qu'il allait pouvoir faire pour le Réveillon cette année. Peut-être le passer avec Loïs ? Mais maintenant qu'elle avait un petit-ami, Tristan l'imaginait mal se faire la malle pour venir passe Noël avec lui. Et il n'allait pas non plus s'inviter, bien qu'il connaisse ce Isaure dont elle lui parlait parfois, colocataire de Mercedes. Bref, la soirée risquait d'être longue. À moins qu'il n'aille chez sa demi-sœur, une autre fille de Borée qui vivait sur New-York ? Il réfléchissait à cette question, avachi dans l'arrière-boutique de l'animalerie où il travaillait, quand il y avait eu un gros noir.

Tristan rouvrit les yeux sur un canapé, dans une pièce surchauffé. Il crut au début se réveiller là où il avait piqué un somme, soit l'arrière-boutique qui servait de salle de repos aux employés de l'animalerie, mais son regard se posa sur un énorme sapin bien vert et recouvert de guirlandes et de boules de toutes les couleurs possibles et inimaginables. Un Père Noël (ou le Père Noël ?!) y était ligoté, une expression de détresse sur le visage. Des bruits bizarres attirèrent alors son attention sur la seconde scène de la pièce et de loin la plus insupportable. Les yeux ronds comme des soucoupes,Tristan vit une énorme femme aux cheveux blancs, totalement nue et obèse, se taper sans retenu des lutins. Des lutins! Un type parla à côté de lui et Tristan secoua vaguement la tête, à deux doigts de rendre son déjeuner. « Je... » Non, ils ne devaient pas rêver, ça semblait beaucoup trop… réel ? Une voix résonna dans ses oreilles, annonçant qu'il fallait sauver le Père Noël. Et puis quoi encore ? De tous les monstres que Tristan avait pu croiser dans sa courte vie, cette Mère Noël qui offrait gratuitement des scènes de cul immondes était sans doute la pire. Une fille, assise à côté de lui, prit la parole mais obnubilé par le spectacle (c'était ça le pire, il n'arrivait même pas à détourner les yeux pour regarder autre chose), il ne la comprit qu'à moitié. À cet instant, la mère Noël posa les yeux sur eux et, sans manifester sur surprise ou de gène ou quoi que ce soit de censé, éclata de rire. Le bon point là-dedans, c'était qu'ils n'étaient pas ligotés ou entravés d'une façon ou d'une autre. En revanche, les lutins n'avaient pas l'air franchement aimables.