Bien. Présentez-vous à moi. Racontez-moi votre histoire jeune fille...
De quoi ? Raconter mon histoire à quelqu'un ? Y a rien à dire sur moi.
Alors inventez-en une. Réinventez votre histoire mademoiselle. Expliquez-moi ce qui fait de vous une artiste. D'où vous vient ce talent
Réinventer mon monde. C'est une perspective intéressante. Je préfère vous le raconter tel qu'il est. Je sais pas mentir de toute façon. Et comme je sais que vous êtes un enfant d'Aquilon, rien ne m'empêche de vous conter mes aventures mythologiques. Commençons par le commencement.

Je vivais avec mon père en Irlande. Je m'appelais Pandora Hope Hopkins. Oui, je sais que ce n'est pas le nom que je porte actuellement. Mais cessez de m'interrompre, je vais tout vous expliquer en temps et en heure. J'avais une grande soeur aussi. Pleasance. Pleasance Hopkins. Peut-être qu'un de vos collègues grecs l'a connue... Enfin. Quoi qu'il en soit, nous n'étions pas heureuses. Pas du tout. Quand deux enfants vivent chez leur père qui a un fort penchant pour la boisson, ça ne fait jamais une vie heureuse et stable. Il nous frappait Pleas' et moi. J'étais toute petite, je savais à peine marcher. Il m'en voulait à moi tout particulièrement, parce que ma mère, Salacia, lui avait brisé le coeur. Il disait qu'il se sentait enfin prêt à fonder une famille, que cette femme lui semblait être celle de sa vie. Mais elle était partie avant qu'il n'aie le temps de le lui parler. Contrairement à la mère de Pleasance, elle était bien plus qu'un coup d'un soir. Mais ce qu'il ne savait pas, c'est qu'elle était mariée. Le dernier signe qu'il eût d'elle, c'était moi, dans mon couffin doré, sur sa porte. Avec cette lettre. Cette lettre d'excuse. Cette lettre qui révélait mon prénom, ou du moins le premier.
La même qu'il avait reçue dix ans avant, pour ma soeur, d'une Némésis neutre, qui s'en tenait au strict minimum. D'une Némésis, qui malgré ses nombreuses conquêtes, avait eu le coeur brisé de la manière dont il l'avait abandonné dans ce lit d'un hôtel de Manhattan. Il frappait Pleas'. Heureusement, il y avait Juliette. Juliette-à-lunettes. A la base, c'était juste l'une de ses nombreuses compagnes. Mais elle avait ressenti de la pitié et de la compassion pour nous. Alors elle était restée. Elle est devenue comme une mère pour moi. Pleas' l'aimait moins mais...
Elle n'aimait pas grand monde n'est-ce pas ?
Non. Les coups n'avaient pas brisé uniquement son corps mais aussi son coeur. Néanmoins, elle appréciait Juliette tout de même un peu, car sans elle, elle serait morte de ses blessures. Papa la battait plus rarement. Il la battait toujours mais moins fréquemment.

Et une fois, quand j'avais quatre ans, ma vie bascula complètement.  Pleas' en avait quatorze et commençait à être connue des monstres. Elle découvrait peu à peu ses pouvoirs, mais c'était toujours d'une faible amplitude et quand elle était seule, ça je ne l'ai compris qu'après. Sa grande prestation se fit sur papa, et en ma présence. Juliette travaillait. J'étais recroquevillée sur le canapé, le visage caché derrière un coussin décoratif. Papa battait ma soeur aînée. Mais elle ne bronchait pas. Elle gardait la tête haute et restait droite comme un piquet. Elle accusait chacun des coups sans rien dire. Elle avait la lèvre supérieure coupée, l'arcade en sang et des bleus à divers endroits, mais elle faisait comme si de rien n'était. Comme toujours. Papa attrapa une des nombreuses bouteilles en verre qui jonchaient la table, toutes vides ou brisées et tenta de la frapper avec au visage. Il y parvint, mais ce coup fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Après j'ai pas vu, j'ai fermé les yeux très fort, parce que j'étais terrorisée.  En tout cas, quand Juliette arriva elle trouva papa étendu au sol, et moi me tenant au-dessus de lui, les larmes aux yeux. Dans un coin de la pièce il y avait Pleas' et un de ses seuls amis qui discutaient vivement. Juliette était trop choquée, trop de souvenirs lui revenaient, pour être en mesure de former une phrase complète, elle me l'a dit quand j'ai grandi. L'ami de Pleasance s'approcha doucement de ma belle-mère.
"-Juliette ?
-Hm ?
-Pleas' et moi on doit partir.
-Hm.
-Il vaut mieux pour vous que vous le fassiez aussi, avec Pandora.
-Hm.
-La petite a prévenu les forces de Police que sa soeur avait accidentellement tué leur père. Il sont à sa recherche.
-Hm."
J'écoutais silencieusement, mais je n'avais pas tout très bien compris ; d'ailleurs ce que je vous dit est approximatif, bien que ce jour soit resté gravé dans ma mémoire, je ne me souviens pas de ce qu'il s'est dit exactement. J'avais besoin de sa grande-soeur. Juliette était dans un état de mutisme, j'avais besoin de celle qui me servait de mère en l'absence d'adulte responsable. Mais Pleasance était bien trop choquée par ce que venait de lui apprendre son ami pour faire preuve de gentillesse à mon égard. Et quand je lui demandai d'une voix timide et secouée de sanglots si on allait rester ensemble, c'est d'une voix froide que l'adolescente répondit :
"-Non. Je vais partir seule. Et je ne veux plus jamais entendre parler de toi. Parce que c'est de ta faute si "Papa" a commencé à boire. C'est de ta faute s'il me frappait ! Et si t'avais pas appelé la Police tout ce serait bien passé ! C'est de ta faute aussi ça ! J'te déteste !"

Je vois... C'est pour cela que vous êtes aussi franche, en allant presque jusqu'à la méchanceté...

Oh ! Je vous ai pas demandé d'expliquer mon caractère ! On m'a dit de venir vous voir parce que je suis stressée en ce moment, à cause de mes insomnies qui empirent, vous m'avez demandé de raconter mon histoire, point barre !
Donc, Juliette et moi, on a été associées au service de protection des témoins. On a changé de continent, de nom, et administrativement, elle est devenue ma mère. Elle s'est fait appeler Kathie, et moi Day Zoë-Lilith. Nous avons réappris à vivre normalement et Pleas' est peu à peu sortie de nos vies. Mais pas de nos mémoires.

Nous avons emménagé aux alentours de San Francisco. C'était au printemps. J'ai repris le cours de ma scolarité. Et puis l'été, nous sommes allées régulièrement à la plage. J'étais comme attirée par l'océan, comme si une force me poussait à le rejoindre. Comme un enfant retourne toujours dans les bras de sa mère s'il suit son instinct. Je passais un temps infini dans l'eau, que ce soit à nager, à jouer, ou à observer la faune océanique.

Je suppose que vous respiriez parfaitement sous l'eau.

Non. Tout d'abord parce que je pensais n'être qu'une simple humaine. Et puis je ne suis que la fille de Salacia, pas de Neptune non plus ! Je ne risque pas de pouvoir respirer sous l'eau ! Et pourquoi pas un don d'hydrokinésie tant que vous y êtes ! Enfin... Nous allions donc souvent nous baigner, sous mes supplications continuelles. C'est là que mes pouvoirs se sont manifestés pour la première fois.
J'avais un masque, mon tuba et je nageais tranquillement avec mes brassards quand un dauphin a bondi vers la plage. Tous les touristes se sont mis à le mitrailler de photos, tels des paparazzis déchaînés, mais moi, moi, j'avais eu le plus beau. J'étais persuadée d'avoir entendu un "Salut !" dans ma tête. Et j'étais persuadée que c'était le cri de ce dauphin. J'ai nagé et couru le plus vite possible vers Kathie pour tout lui raconter. Elle s'est mise à rire, et m'a dit que c'était impossible, que j'avais dû rêver, que je devrais peut-être me mouiller l'arrière du crâne. Mais moi je vous le dis. Je n'avais pas rêvé.

Quelques années plus tard, deux ans pour être exacte, nous avions pris l'habitude de venir à la plage tôt le matin, dans une petit crique un peu plus éloignée du centre-ville, afin d'être tranquille, et d'échapper aux cris de tous les plagistes. Je nageais tranquillement, entendant de plus en plus de voix lorsque j'étais sous l'eau, quand je vis une bête immense, d'apparence lupine, mais aussi haute qu'un poney arriver. Kathie la salua immédiatement, tandis qu'elle m'arrachait des vagues pour me prendre dans ses bras. L'animal me faisait peur, et en même temps, me forçait au respect. Il -ou plutôt elle- parla, et je fus étonnée d'entendre un anglais tout à fait correct plutôt que des grognements gutturaux et bestiaux.
"-Juliette. Tu aurais mieux fait de rester à la Nouvelle-Rome, plutôt que de te mettre dans de tels pétrins. Tu avais plus de jugeote lorsqu'on est venus te chercher.
-Veuillez m'excuser si je vous déçois Dame Lupa.
-Tu ne me déçois pas tant que ça. Tu as su protéger cet enfant coûte que coûte que ce soit de l'identité de ses pouvoirs que des monstres. Tu as gardé un semblant d'intelligence, dirait-on.
-Tenez, Dame Lupa. Voici l'enfant."
Et Kathie me posa au sol. J'étais pas rassurée. J'avais l'impression d'être Boo, dans Monstres&Cie -mon dessin animé préféré.  Les larmes perlèrent à mes yeux. Je n'avais plus qu'une seule famille et on m'y arrachait. Je voyais qu'il en coûtait également à ma "mère" de me laisser m'en aller mais elle prononça ces mots, censés me rassurer.
"-Tu dois apprendre à être ce que tu es. Sois forte, comme tu l'as toujours été.
-Je veux pas aller avec un loup qui parle !"

Il en a fallu du temps, pour me transformer en soldat. J'étais une gamine pleurnicharde, timide et perturbée par le fait que des loups parlent.

Et mis à part ça, aucune peur relative à l'eau, à la mer ?

Vous avez oublié où c'est vous, la Maison du Loup, ça se voit ! Comment voulez vous que je m'en sois rendue comte sachant qu'on était en pleine forêt ! Peu à peu, je suis devenue plus dure, plus forte, plus militaire. J'ai été acceptée. Et j'ai gagné le Camp Jupiter par mes propres moyens, avec pour seule mission : donner ma lettre de recommandation. Celle que Kathie avait rédigée et dont je n'étais absolument pas ua courant. On me donna une direction. Je mis un certain temps à trouver ma route. Mais une fois que cela fut fait, je conservai mon cap.

Un garçon, de trois ans mon aîné, me prit sous son aile. Il me montra le Camp et m'expliqua son fonctionnement. En grandissant, il devint mon modèle, mon frère. Il était un fils d'Aquilon, comme vous. Je l'adorais. C'est à l'adolescence que ça s'est un peu gâté. J'ai commencé à tisser des liens amoureux envers lui, mais ce n'était pas réciproque. Je m'en suis agacée. Et quand j'ai été nommée centurion, on est juste devenus invivables. Je réveillais mes légionnaires à ma façon, en hurlant, et en jetant hors du lut les plus flemmards. Mais ce n'était pas ça le pire. Ce fut lorsqu'il commença à sortir avec des demoiselles. Insultes et jurons volaient gracieusement d'une bouche à l'autre. Le seul moment où on ne se lançait pas des piques, c'était lorsque ça concernait notre cohorte. Puis j'ai fini par me faire une raison. C'est passé. Et nous sommes devenus encore pus proches qu'avant. Il est devenu mon grand frère, je suis devenue sa petite soeur. Il me protégeait et c'était réciproque.

C'est ainsi que se sont déroulées mes années au Camp. Quant à la deuxième Titanomachie.. J'étais sur le front. J'étais nerveuse et hyperactive -encore plus que d'habitude- et je crois que c'est la première fois que tout le monde a pu m'observer être si sérieuse et déterminée.
Vous en êtes capable ?
Haha. Très drôle. Allez vous faire voir... Ah non, j'peux plus dire chez les Grecs maintenant. Bah chez les Vikings ! Pour le moment on a pas encore rencontré de demis-dieux Vikings. Enfin. J'ai fini par être comme lassée du Camp. Marre d'être responsable -surtout de la mort de tous ceux qui avaient combattus dans la Quatrième lors de la guerre contre Saturne. Et puis je m'étais découvert une passion que je voulais exploiter le plus possible en intégrant une université : le dessin. Alors je me suis retirée. Douze ans c'est beaucoup. On m'a proposé de rester à Nouvelle-Rome, mais j'ai simplement expliqué que je refusais ma vie de demi-dieu normal et bon légionnaire fidèle à Rome. Je voulais vivre comme une humaine, à New-York. Mon seul regret ? Laisser Jo' s'occuper de tout ça sans moi. L'abandonner en quelque sorte.

Puis... On m'a rappelée. Pour une quête. La première et la seule à laquelle j'avais alors participé, c'était avec un fils de Vulcain. A un moment donné, nous avions eu besoin d'un mode de transport gratuit. Nous étions coincés. ma mère m'était alors apparue en rêve et m'avait offert quelque chose. Ou plutôt quelqu'un : mon dauphin, Joli-Coeur. Désormais, nous nous appartenons respectivement. Je n'ai qu'à siffler pour l'appeler, et il arrive à grands bonds. Après cela, mon partenaire de quête survivant m'avait forgé mes deux katanas, mes armes actuelles. J'étais surprise qu'on me le demande à moi. J'étais presque un renégat selon l'avis général. Mes actions avaient vite été oubliées au profit des quelques erreurs que j'avais faite et de mes défauts.
C'était à San Francisco, dans le centre commercial. Je faisais partie des éclaireurs. J'avais failli y laisser la vie, et mes partenaires aussi. L'un, fils de Phébus, était mort. Je n'avais rien pu faire. On m'avait soignée et je n'en avais tiré qu'une vilaine cicatrice sur l'épaule. Et depuis que 'avais eu connaissance de l'ampleur de la force ennemie, j'avais la D. L. C. E. M. en horreur.

J'ai tenté de reprendre ma vie habituelle, mais j'avais plus peur que e coutume. Et puis, il y avait ma malédiction qui ne faisait qu'empirer mes insomnies habituelles. La malédiction de Némésis. Un tatouage de katana dans mon dos, sur mon omoplate. Une fois, peu de temps après avoir débarqué à New-York, alors que je chantonnais dans Central Park, mes armes à la main par mesure de sécurité, quelqu'un m'avait attaqué. Mon impulsivité et mon hyperactivité ont pris le dessus. Je me suis battue et je l'ai blessée à mort. Mon adversaire était ne femme, s'approchant de la trentaine, un peu moins peut-être. Elle avait de longs cheveux bruns, et des yeux noirs. Des yeux que, sans mon instinct de combattante, j'aurais reconnu sans problème. Je la touchai à l'estomac, et quand elle tomba sur l'herbe verte, se vidant peu à peu de son sang, elle dit une phrase qui m'arrêta dans mon élan. Elle me nomma Hoppy. Et à part mes amis très proches et Kathie, une seule personne pouvait m'appeler Hoppy et s'excuser en me disant que finalement ce n'était pas ma faute.
Pleasance Louise Hopkins.
Ma soeur. Je venais de tuer ma grande soeur. Je dormis très mal cette nuit-là.
C'est tout à fait compréhensible. Le regret et la culpabilité devaient vous ronger de l'intérieur...
Je parle, et vous, vous la fermez. Même si vous avez raison, il n'y avait pas que ça. Une femme d'une beauté sans âge, avec les mêmes cheveux et les mêmes yeux que ma soeur, tenant une balance dans une main et une épée dans l'autre proféra ces quelques mots.
"-En te vengeant tu as tué ma fille. Pour un abandon tu lui as donné la mort. De par ta lame tu as tranché le fil de sa vie. Ton épée Irae puisse-t-elle être maudite ! Elle te tuera toi aussi, quand tu voudras ôter la vie à ton véritable ennemi"
Car c'était avec Irae que je lui avis infligé ce coup mortel. Et chaque nuit, je rêvais de ma mort, dans différents décors et dans un combat m'opposant à différentes personnes. Je ne dors que très peu. J'ai déjà tenté d'arrêter le sucre, pensant que cela avait un effet quelconque sur mon cerveau, mais ça n'a eu aucun effet. Alors je continue. Et en attendant, je dessine la nuit, ou je vais chez mes amis, leur réclamant de quoi manger et un peu de présence pour ne pas sombrer dans une folie paranoïaque.
Et votre frère ?
Jonathan ? Il est arrivé, un jour, chez moi. Kathie l'a reçu et quand je suis rentrée des cours, je l'ai vu, là, à la porte, m'ouvrant sans que j'aie à sortir mes clés. Si ç'avait été dans mes habitudes et si je n'avais pas été aussi sonnée, je lui aurais certainement sauté au coup. J'ai d'abord cru qu'il était arrivé quelque chose de grave au Camp. Puis j'ai découvert son "problème". Il a plein de cicatrices, sur tout le corps, à part le visage. Je pense que ça a un rapport avec le centre commercial, mais je vois sa souffrance chaque jour, je la lis dans ses yeux. Cela me suffit. Je ne veux pas le torturer en lui posant des questions. C'est pas mon style. Alors, maintenant, il vit chez moi. Et même si je ne lui dis pas directement, je suis méga-heureuse qu'il soit là avec moi. Je crois que j'ai enfin retrouvé une famille. Ma famille. Un équilibre parfait.

Et votre rapport avec la mer ?
J'peux vous avouer un secret ? J'ai peur de me noyer. J'ai peur qu'un jour, je tombe de Joli-Coeur, que l'eau entre dans ms poumons et que je meure. Et mourir me fait peur. Mais j'ai moins peur de mourir en me faisant dévorer par un monstre qu'en me noyant.
Et vous ne croyez pas que c'est pour ça que vous ne respirez pas sous l'eau ? Ca vous arrive de vous détendre ?
J'vais vous dire. J'y ai jamais pensé.