D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours su que ceux qui faisaient office d’autorité parentale, n’étaient pas ceux qui l’avaient mise au monde. Oh, elle les aimait comme de vrais parents, il n’y avait pas à douter de ce fait. Mais les choses étaient différentes de ce qu’elle pouvait contempler chez certaines familles. Il n’y avait pas de demi-vérité, de réalité enrubannée pour faire plus joli, ou même de mensonge par omission. Non, lorsqu’elle eut l’âge de comprendre, Agnès et Mike se sont montrés aussi sincères que possible, dans la mesure qui était la leur. Sous-entendu, ils ne lui ont jamais rien dit sur sa nature de demi-déesse, puisqu’ils n’en savaient rien eux-mêmes.

Pendant les années auprès d’eux, Nora apprit la franchise, l’observation et la patience. Ses difficultés scolaires furent une épreuve à dépasser. L’apparition de ses pouvoirs en représenta une autre. Ils n’étaient pas développés au départ. Cela ne la troublait que peu, en vérité. Elle entendait parfois des sons à l’extérieur de sa chambre, lorsque la nuit tombait, ou pouvait voir – semble-t-il – plus loin qu’elle n’en avait l’habitude. Ce n’était pas perturbant, parce qu’il y avait autour de ces faits, comme un naturel qui la réconfortait et faisait partie d’elle-même. Nora avait toujours eu plus de facilité à vivre la nuit, la fatigue se faisant moindre, comme si son univers se teintait plus aisément d’une brume sombre qui adoucissait le monde. Du coup, il lui arrivait de plus en plus souvent de quitter le nid familial pour vadrouiller dans Chicago, au grand dam de Mrs Whilden lorsqu’elle s’en rendait compte. Les disputes s’étaient faites plus nombreuses d’ailleurs. Nora avait beau comprendre le point de vue de sa mère adoptive, comme quoi l’idée qu’une gamine de 10 ans puisse se balader ainsi, à l’air libre dans une ville aussi dangereuse pouvait, en effet, inquiéter, mais elle ne parvenait pas à réfréner son envie de liberté. Il y avait tant à voir, tant à vivre dehors. Les gens étaient presque comme des livres ouverts à ses yeux, et marcher de cette manière sans avoir de but véritable représentait à ses yeux, un mode de vie qui lui plaisait.

Mais elle obéit. Elle sortit moins. Réfrénant ce besoin de bouger, d’agir, et de suivre des aventures qu’elle vivrait seule. Ses activités étaient nombreuses. Cela faisait des années qu’elle jonglait entre dojo et athlétisme, présentant des qualités dans ces deux domaines. Son corps semblait toujours avoir besoin de vibrer, de s’exprimer, et il lui était rare de dormir longtemps. Arrivée à sa douzième année, un second pouvoir fit son apparition, causant un véritable chamboulement dans son existence. La capacité de tordre les ombres, de modifier les mouvements de certaines personnes, de sentir instinctivement où se trouvaient les zones d’obscurité de chacun. Un jour, elle marcha même sur l’ombre du passant devant elle, et celui-ci trébucha, ce qui la fit tiquer. Elle ne pouvait exercer ce don que pour bloquer les gens dans leur mobilité, mais au fond d’elle, elle savait qu’il y avait plus à faire. Mais le moment n’était pas venu.

A 15 ans, Nora appris une autre chose sur elle-même. Son lien avec le grec, voire même le grec ancien. Le collier qu’elle portait autour du cou depuis sa petite enfance comportait des inscriptions qu’elle avait toujours su déchiffrer : Eliane et Nyx. Elle avait supposé – comme ses parents – qu’il lui venait de sa génitrice, sans savoir ce que signifiaient ces mots. Ni dans quelle langue ils étaient écrits. C’est en prenant une option en cours qu’elle perçut leur véritable valeur. Tout comme elle apprit ce que voulait dire « Nyx ». Même si elle ne voyait pas ce qu’une déesse de la nuit pouvait bien faire sur son collier. Quoi qu’il en soit, elle retira son collier cette année-là, pour la première fois de sa vie. Pendant de longues semaines, elle l’observait sur son bureau, cherchant à obtenir des informations qui ne venaient pas. Est-ce qu’Eliane était le prénom que sa génitrice lui avait choisi ? Nora ne cessait de réfléchir à des pronostics plus fous les uns que les autres, surtout sachant ce dont elle était capable. Elle qui se méfiait déjà de tout le monde, se montrait plus effrontée, plus téméraire, et plus sarcastique. Oui, la gamine observatrice, plutôt rêveuse s’était durcie avec l’adolescence. Chacun a le droit à subir des expériences plus ou moins déplaisantes, qui forment pour toute une vie. Dans son cas, durant ces années, elle développa la peur de l’eau, qui vint s’ajouter à la claustrophobie qu’elle possédait déjà. Enfin peu importe. Tout ça pour dire qu’elle était loin d’être un ange.

Et puis les choses s’accélérèrent. L’adolescente rencontra un garçon qui lui dit être un satyre – mais bien sûr, il en avait fumé de la bonne lui – qu’elle chercha à éviter le plus possible, jusqu’à ce qu’ils se fassent attaquer par une bestiole au rire à la fois féminin et douloureusement inhumain. Frappée de stupeur, elle fut bien obligée de croire les dires loufoques de celui qui la sortit de son mauvais pas – enfin qui courait aussi vite qu’elle, quoi – surtout quand il lui montra certains appendices corporels qu’un humain lambda était loin de posséder. Hey, je ne parle que de cornes et de sabots, voyons. Donc, ce fait survenant, il lui expliqua qu’il avait repéré son odeur d’un coup, comme si elle avait été invisible jusque-là. Rejoignant ses parents adoptifs, ils leur expliquèrent la situation, provoquant incrédulité et vaste questionnement. Le satyre la pressa dans sa décision, et elle accepta de rejoindre cette fameuse colonie dont il parlait sans cesse. Ce fut en reprenant son collier et en l’enfilant qu’il poussa un léger cri de surprise, amenant enfin une réponse quant à l’utilité du pendentif. Celui-ci semblait fortement atténuer son odeur de demi-déesse, ce qui expliquait d’ailleurs qu’elle n’avait pas été attaquée auparavant.  Elle attrapa le couteau à lame rétractable qu’elle avait gagné dans la rue, des fringues, et – merci maman – de quoi manger pour la route. Le chemin entre Chicago et New York fut long à ses yeux, mais comme il s’agissait d’une de ces aventures dont elle avait tant rêvé par le passé, Nora prit son mal en patience, et recouvra presque une partie de sa rêverie. Et puis, le satyre, à défaut d’être véritablement courageux, avait quelque chose d’attachant, sans compter qu’il pouvait répondre à toutes ses questions.

Son arrivée à la colonie lui fit peur. Et comme à chaque fois qu’elle a peur, Nora préfère la solitude et les sarcasmes. Néanmoins, elle découvrit là un décor où les adolescents qui y vivaient semblaient partager certaines de ses difficultés, et son envie de bouger sans arrêt. Elle était curieuse d’apprendre, malgré qu’elle ait du mal à se sociabiliser vraiment. Et puis, les piques aidant, les armes permettant de se défouler, la demoiselle se lia à certains d’entre eux. Des rivaux, des compagnons d’armes, des éclats de rire qui se firent plus nombreux que dans le monde humain. Elle finit par s’y sentir chez elle, et fit le choix d’y vivre toute l’année, en repartant à Chicago de temps à autre, étant protégée par son collier. Nyx – celle qu’elle comprit être sa mère – n’était pas qu’une déesse primordiale incarnant la nuit profonde, mais également une maîtresse de la dissimulation. Et c’était pour cela que son pendentif pouvait la soustraire à de nombreux odorats développés.

La bataille contre Cronos fut un véritable tournant dans sa vie. Les attaques étaient sanglantes, les pertes nombreuses. Le gout du liquide carmin dans la bouche, Nora était hargneuse, fière combattante auprès des enfants d’Arès. Les scènes vécues là-bas se gravèrent dans sa mémoire de manière indélébile. Un de ses camarades et rival, Destan, avec qui, il lui arrivait fréquemment de se prendre la tête, combien même elle avait suffisamment confiance en lui pour remettre son existence entre ses mains, prit une flèche et dû être soigné avec application. En voyant cela, ainsi que les corps s’amoncelant un peu partout, elle chercha un portable sur les humains endormis, pour pouvoir joindre ses parents adoptifs. Il lui fallait leur parler, les rassurer, leur dire qu’elle les aimait, et qu’elle était désolée d’avoir été si difficile pendant son adolescence. Les nouvelles qu’elle reçues la fit se figer et regarder autour d’elle, avec hébétement.

Nora revint à la colonie avec les autres, pour reprendre ses affaires et partir. Seul Chiron avait été prévenu, parce qu’elle était incapable d’affronter ceux qu’elle considérait à présent comme des membres d’une famille dont elle avait toujours eu besoin. La bataille s’était déroulée en 2011, et ce n’est qu’en juillet 2013 que Nora était réapparue à la colonie, en faisant la demande de pouvoir rester la dernière année avant ses 22 ans. Chiron accepta, et la jeune fille reprit sa place au bungalow de Nyx.