☞ Monet Kaplan, huit ans.
La flèche avait loupé sa cible, une nouvelle fois. Madame Kaplan se pencha vers sa fille en souriant et ajusta son arc. Elle lui mit ses mèches blondes derrière les oreilles et lui souffla de se concentrer à nouveau. Monsieur Kaplan regardait tout cela de loin. Il y avait bien longtemps qu'il n'y avait plus rien à redire sur l'éducation de sa fille. Il était effacé. Il était quasiment muet. Il avait essayé de dire à sa femme que le tir à l'arc pour une enfant de huit ans n'était peut-être pas la première des priorités aussi. Le combat en corps-à-corps aussi d'ailleurs. Mais Marlène Kaplan n'en avait rien à faire. Sa fille serait sa guerrière à elle. Sa fille serait forte, sa fille serait une déesse.
«
Comme ça Maman ? » La flèche avait atteint sa cible. «
Excellent ma belle, recommence ! »
Monet Kaplan s'appliqua à nouveau. Bien faire pour sa mère, c'était son but. Elle se devait de réussir, parce qu'elle lui avait donné toutes ses chances. Du coin de l’œil, elle vit son père la regarder d'un air complètement vide. Son père n'avait jamais été proche d'elle. Il avait toujours tout laissé faire par sa mère. Elle était trop jeune pour se rendre compte de quoi que se soit, mais bien assez tôt, la petite Monet se rendrait compte que son père était là que pour faire de la figuration, comme tous les hommes dans la famille Kaplan. Et puis, de toute façon, elle était bien avec sa mère, non ?
☞ Monet Kaplan, dix ans.
Elle avait la tête collée contre la vitre et regardait les paysages français défiler sous ses yeux. C'était beau la France. Les Kaplan venaient rendre visite à de la famille, dans le sud du pays. Enfin, c'était plus une réunion de famille et ils étaient les derniers à arriver, bien évidemment. Madame Kaplan avait eu des affaires urgentes de dernières minutes à régler. Quitter sa bien-aimé Amérique avait été compliqué, Monet avait toujours eu peur de prendre l'avion. Mais tout s'était bien passé et, à son plus grand plaisir, ses parents avaient décidé de louer une voiture avec toit ouvrant pour se déplacer une fois au pays.
«
C'est quoi ça ? Maman, Maman ! » «
Maman conduit chérie, ce sont des... moutons. » «
Oh, trop bien ! »
C'était peut-être bête, mais elle n'en avait jamais vu en vrai. En Virginie, dans la ville de Boyce, c'était plus les chevaux. Pas de moutons, ou en tout cas, pas près de chez elle. Son père mit un de ses cd de musique classique et sa femme soupira. Monet ricana dans son coin. Son pauvre papa n'avait jamais le choix de la musique dans la voiture. Mais elle était contente, avant de partir, il était venu assister à un de ses matches de lutte. Et de tir. Une vraie fierté. Il l'avait même accompagné à la chasse avec sa mère l'autre jour. Elle s'était demandée ce qui avait changé chez son père pour qu'il ose s'intéresser à ses activités extra-scolaires. Il avait du prendre son courage à deux mains et s'imposer. Sa mère avait tenu à ce qu'elle poursuive ses sports. Elle était devenue plutôt douée.
«
On est bientôt arrivé maman ? » «
Oui ma chérie, dans dix minutes »
Elle savait qu'elle disait ça au pif, pour la faire taire mais fit mine d'avoir compris et reporta son attention sur les forêts qu s'étendait sous ses yeux, sans fin. Son père monta la musique, elle chantonna. Elle n'aimait pas plus que ça les voyages en voiture. Mais son père lui avait murmuré que c'était un moyen sympa de découvrir de nouveaux paysages. A propos des arbres. Ils étaient drôlement près de la vitre.
«
Maman, tu roules sur l'autre file... » «
Chérie ? Chérie est-ce que ça va ? » «
Maman ? »
L'impact fût rude. Madame Kaplan avait lâché le volant, et sa tête avait cogné son tableau de bord. La voiture sortit de la route et Monet hurla. Son père tenta désespérément de prendre le volant mais le mal était fait, la voiture heurta un arbre aux allures centenaires et son père, bien que retenue par sa ceinture, fut projeté en avant. Dans un fracas effroyable, elle le vit s'écraser contre le parebrise et sentit le moteurs vrombir de plus belle. La petite fille hurla, la voiture à l'envers avait pris feu. Elle se débattit du mieux qu'elle pu, tira sur sa ceinture tendit que les flammes commençaient à lécher la carrosserie avant du véhicule. Impossible. Elle était coincée. Et sa mère qui ne répondait toujours pas.
«
Maman ! Maman ! »
Sa ceinture céda et elle tomba. Elle commença à ramper, tentant de s'extirper de là. Pourquoi les vitres étaient-elles fermées ? Pourquoi ? Elle tapa dessus, griffa la portière jusqu'à en saigner en vain. Elle toussota quand la fumée commença à envahir le peu d'espace qu'il lui restait. Son père était toujours immobile, le crâne en sang et sa mère ne répondait plus. Elle se sentit plonger petit à petit. Elle ne voyait plus rien, elle ne sentait plus rien. Le moteur faisait un bruit inquiétant. Et puis, d'un coup, la vitre se brisa, lui envoyant des éclats de verre au visage.
Elle se réveilla dans un lit d’hôpital. Un homme inconnu était là, au bout de son lit. Sa tante était là elle aussi, avec son mari et sa fille. Elle était en larmes. Monet remua les lèvres. Elle avait mal. Elle avait l'impression que sa jambe était en feu. Et son corps tout entier aussi d'ailleurs. Elle avait une jambe dans le plâtre. Et son visage semblait couvert de pansement. Elle bougea un orteil et la douleur ne se fit pas attendre. Elle serra les dents, sentant les larmes lui monter aux yeux. Un homme en blouse arriva, son carnet médical à la main.
«
Ma petite, vous êtes réveillée ! » «
Où sont mes parents ? » «
Monet... » sa tante avait pris la parole. «
Ils sont morts, c'est ça ? » Elle baissa la tête. Oui, ils étaient morts. Évidemment. «
Tu es une miraculée, sans cet homme... »
L'homme au bout du lit esquissa un sourire. Son sauveur. Il était incroyablement grand, il avait une épaisse chevelure brune et de petits yeux verts. C'était lui qui l'avait sorti de là, qui avait brisé la vitre. On lui expliqua tout dans l'heure qui suivit. Comme quoi sa tante et son oncle s'étaient portés garant pour prendre soin d'elle. Qu'ils rentreraient tous en Virginie. Qu'elle allait retourner à Boyce. Désormais, elle serait leur fille. Avant de partir, le sauveur se présenta. En fait, il donna juste un nom. Hartley.
☞ Monet Kaplan, douze ans.
Monet haïssait sa vie. Son visage ne s'était jamais vraiment remis, contrairement à sa jambe. Elle avait du être opérée de nombreuses fois pour laisser le moins de traces possibles. Et Monet haïssait cette cicatrice qu'elle avait en haut du front. Elle s’effaçait avec le temps, mais elle lui rappelait l'accident. Vivre avec son oncle et sa tante, était un véritable enfer. Son oncle était comme son père, effacé. Tous les hommes Kaplan l'étaient... Sa cousine était du style prochain mannequine pour le rayon enfant de H&M. Et sa mère en était fière. C'était écœurant, comment pouvait-elle autant ne pas ressembler à sa mère, sa vraie mère ? Elle eut une interdiction formelle de reprendre ses sports de combat, et sa tante l'inscrivit à des cours de danse, mais, après moult discussions, Monet négocia la gym qu'elle trouvait plus utile. Mais sa vie était un enfer. Elle n'avait pas retrouvé sa place d'enfant chérie. Et sa cousine lui sortait par les yeux. Elle était retardée (du moins, c'était comme ça que Monet la voyait), était incapable de lire correctement les trucs et était hyperactive. Et pourtant, ses parents lui vouaient un véritable culte.
«
T'es jalouse c'est tout. Parce que je suis la première depuis des années à être comme ça, c'est tout. Je suis exceptionnelle. »
Et puis quoi encore. Elle était Jésus Christ version féminin envoyé sur terre ? Ce qui était sûr, c'est que May, tel était son prénom, ne se prenait pas pour n'importe qui, ni n'importe quoi.
«
Mon père est un dieu. »
Elle lui avait lâché sa comme ça, au beau milieu d'un repas de famille. Sa mère avait rougi, puis lui avait caressé les cheveux. Son père, un dieu ? Si c'était de l'homme qui se rongeait les ongles au bout de la table dont elle parlait, elle remettait aussitôt en question les croyances de centaines de milliers de personnes. Mais évidemment, comme si ce repas n'était pas déjà horrible (il mangeait des tripes), sa mère en rajouta une couche.
«
Les femmes Kaplan attendant toujours que leur fille arrive à un certain âge pour comprendre. » Oui, les femmes. Parce que, c'était comme une malédiction dans la famille, les femmes Kaplan faisaient des femmes Kaplan. Pas de garçons. «
Pour comprendre quoi ? Vous savez, je ne suis pas stupide. » Elle lui tapa sur les doigts avec sa fourchette. «
Dis donc ! » Elle soutint son regard, droite comme un I. «
Que sais tu de la mythologie Monet ? » «
Ce qu'il faut savoir. Grecque ou Romaine ? » «
Les deux » «
Bah... Des dieux, des héros, des super aventures et... » «
J'en étais sûre, ta mère ne t'a même pas... Pfft. Elle ne t'a même pas préparé. » Si, elle l'avait préparé à devenir une héroïne. Pour qui elle se prenait l'autre conne ? «
Nous avons un secret de famille nous, les Kaplan. Ce dernier concerne un dieu. »
L'histoire était carrément dure à avaler. Voir impossible. Alors comme ça, les dieux existaient ? Et autrefois, il y a fort fort longtemps, une Kaplan avait croisé la route du dieu Mars qui bien évidemment, lui avait fait môme ? Foutaise. Elle ne le crut pas. Tout comme elle ne cru pas la suite. L'histoire de cette fille, qui avait combattu des monstres. L'histoire des Kaplan qui, depuis sa mort, attendait patiemment de croiser à nouveau le dieu Mars. Une histoire complètement barré, tordue. Et son histoire de mortels qui avait un don. Tous les Kaplan voient à travers la brume, disait-elle, toi aussi. Et le meilleur dans tout ça, c'était May. May était une demi-déesse. Jalouse, elle l'était oui, et pas qu'un peu. Il avait fallu que sa tante, sa débile de tante croise la version grecque de Mars et que.. Paf. Mais bon sang ! Cette fille était l'incarnation même de la déception ! Elle était mince comme un clou, elle était stupide, et était incapable de se défendre. Ils ne s'étaient pas trompés de dieu là ?
☞ Monet Kaplan, treize ans.
«
Tu m'apprend Monet ? » «
Non » «
Mais si, je pars au camp dans une semaine, je veux pas êtres ridicule. » «
Tu l'es déjà, alors dégage sale conne » «
Monet ! »
Sa tante l'avait entendu et l'avait giflé. Sa cousine avait ris. Elle allait devoir rester seule avec sa tante et son oncle. Toute l'année parce que leur chère fille allait dans une super colonie pour les gens comme elle. Elle en avait marre. Pourquoi tout cela ne lui arrivait pas à elle ? C'était elle qui avait tout perdu, c'était elle la plus forte des deux. Et non, tout allait pour May. Sa minable cousine de douze ans.
«
Tu sais quoi , j'espère que tu vas y rester, à ton foutu camp. Et longtemps. Peut-être même qu'un cyclope va te manger toute cru ! » «
Maman ! »
Elle fondit en larme et Monet fonça dans sa chambre. Elle voulait partir, et vite. Elle voulait quitter cet endroit. Sa mère n'avait jamais voulu ça pour elle.
☞ Monet Kaplan, quatorze ans.
Les histoires de super-héros avaient bercé son enfance, elles berçaient à présent son adolescence. Elle se rendait souvent dans la petite libraire de la ville pour en lire, juste après ses cours. Elle rentrait tard. Elle n'avait pas le malheur de voir sa stupide mère adoptive comme ça. Et de l'entendre chanter les louanges de sa fille devenue forte, belle, gracieuse, bref, divine.
«
Monet, c'est ça ? »
Elle leva les yeux de ses comics et croisa le regard de l'homme qui l'avait appelé. Son visage lui disait quelque chose. Évidemment. Un visage qu'elle ne pourrait jamais oublier. Le sauveur. Hartley. Oui, c'était lui. Elle se leva d'un coup et lui serra la main.
«
Tu as grandi dis donc ! » «
Vous habitez ici ? » «
Tu es adorable. » «
En Virginie ? Et vous ne m'aviez rien dit ? » «
Tu as l'air forte. »
Elle rigola devant cet échange de sourds et le serra dans ses bras. C'était plus fort qu'elle. Il parut surpris, mais ne la repoussa pas. Elle n'était pas plus tactile que ça, mais cet homme l'avait sauvé, et elle n'avait jamais su comment le remercier. Quelle chance avait-elle de le croiser ici ? Aux états unis ? Zéro normalement, mais visiblement, aujourd'hui, la chance lui souriait.
«
Je te raccompagne chez toi ? » «
Je veux bien, oh, Hartley, vous ne pouvez pas imaginer comme vous m'avez manqué ! » «
Vraiment ? » «
Oui, vous êtes mon sauveur Hartley ! »
Il la raccompagna chez elle. Et ce fut là qu'il la vit. May était dans le jardin. Et elle s'entraînait. Elle s'entraînait toujours quand elle revenait de ces camps, elle voulait être chef de bungalow plus tard, ou elle ne savait trop quoi. Une autre connerie de demi-dieux sans doute. Et Hartley resta figé.
«
Heu oui, c'est une épée de famille, elle aime bien s'amuser avec... » «
J'y crois... j'y crois pas. » «
Heu, vous savez, je suis plus douée qu'elle, si vous voulez je vous montre. » «
Mars ou Arès ? » «
Pardon ? » «
Son père, Mars ou Arès ? »
Monet sentit le sol se dérober sous ses pieds. Pas lui. Pas encore un qui allait lu dire qu'il était le fils de elle ne savait qui, qu'il avait aussi de super pouvoirs et que...
«
Ta mère avait raison. » «
Ma mère ? Qu'est ce qu'elle vient faire là ma mère ? Vous voulez dire, ma tante ? » «
Non, ta mère, écoute Monet... » «
Vous la connaissiez. » «
Je peux tout te raconter. »
Elle baissa la tête. Elle en avait marre des révélations à deux balles. Elle se seraient cru dans un mauvais film fantastique des années 1900. «
Je suis ton père Luke... Bouuuh ! » Bon, Star Wars n'était pas mauvais, mais mince quoi, elle avait l'impression d'être le pauvre petit Luke, perdu, paumé, à qui on apprenait la vie tous les jours. Bon, à l’exception que Luke lui, il était genre le sauveur de la galaxie. Pas elle. Et Hartley alors ? C'était qui dans l'histoire ? Le maître Jedi ? Il connaissait sa mère depuis le lycée très exactement. Il était plus jeune qu'elle, mais ils avaient bien accroché. Sa mère travaillait à l'époque en tant que bibliothécaire, c'était comme ça qu'ils s'étaient connus. Époque où cette dernière avait d'ailleurs rencontré son père et sur le coup, Monet se demanda pourquoi elle n'avait pas choisi Hartley plutôt que lui. Bon d'accord, peut-être à cause de son âge à l'époque. Mais mince quoi... Au moins lui savait s’affirmer. Sa mère lui avait parlé de l'histoire des Kaplan dès qu'elle avait su pour May. Par jalousie sans doute, vu la suite de l'histoire.
«
Ma cousine contrôle déjà tout. Et vous dites qu'avec votre super bande d'agent secret, vous allez y mettre fin ? Je voulais être comme elle. » «
Non, tu es parfaite comme tu es, ta mère y a veillé. » «
Ma mère voulait combattre un truc qui faisait partie d'elle ? Elle savait que ma cousine était... ça ? » «
Oui. Monet, tu pourrais apprendre tellement plus, tu es encore jeune, si tu voulais, tu serais plus forte que... Ta cousine. » «
Alors je pars avec vous. » Il la regarda d'un air interloqué. «
Mais ton oncle et ta tante vont... » «
Je pars, j'ai dis. Je vous en supplie, prenez moi avec vous. J'en ai marre de la regarder se pavaner. Je n'en peux plus de faire la cuisine tout les soir pour elle. Je veux être libre. »
Il lui prit la main, un large sourire sur le visage. Elle lui sourit en retour et plongea son regard azur dans le siens. Étrangement, Hartley n'avait pas tenté de protester un peu plus. Enlever une gamine, certes, elle le voulait, mais enlever tout de même une gamine ne lui faisait visiblement pas froid aux yeux. N'importe qui aurait du trouver cela alarmant, mais pas Monet. Pas la petite fille qui savait où elle allait, qui savait ce qu'elle voulait. Tout serait mieux que vivre chez ces idiots. Elle regarda une dernière fois sa cousine, au loin, dans le jardin. Son oncle et sa tante qui la regardait. «
Adieux, bande de connards... May, à bientôt. »
☞ Monet Kaplan, quinze ans.
Elle était toujours Monet Kaplan, mais pour des raisons évidentes, elle avait pris le nom de son désormais... Tuteur, qu'elle se plaisait à nommer papa. Hartley avait beau n'avoir que vingt-sept ans, il était un père parfait. Il l'avait certes placé dans un collège pour fille (plus pour des raisons de proximités que pour autre chose) et ne savait pas faire les pâtes correctement mais à côté de ça, il était top. Elle n'avait plus eu de nouvelles de son oncle et sa tante et tant mieux. Hartley était sa seule famille désormais. Il avait une manière étrange de lui apprendre la vie. Elle lui posait souvent des questions sur sa famille à lui. Et il 'était peu bavard. «
Oh, j'ai coupé les ponts depuis longtemps... c'est compliqué M' ». Et elle s'arrêtait là. De temps en temps, elle le surprenait à parler dans son sommeil, d'un frère. Mais jamais elle n'en su plus que ça. Il avait un frère, et il semblait lui manquer.
☞ Monet Kaplan, vingt et un ans.
«
Je suis fière de toi. Il s'en sortira indemne. » «
Il m'a dragué. Dans une ruelle. Il m'a touché l'épaule Hartley. » Elle aimait l’appeler par son prénom. Elle aimait son prénom. «
Monet... » «
Tu aurais fait quoi toi ? » «
Je ne l'aurais peut-être pas balancé contre un mur. » «
Certes. Au moins, il ne recommencera plus. » «
Contrôle toi un peu, comment tu veux que je te recommande sinon ? »
Oui, c'est vrai. Depuis qu'elle avait quinze ans, elle en rêvait. Être comme lui, un agent de la DLCEM. Il refusait de la faire rentrer tout de suite. Il voulait un peu attendre au moins qu'elle ai un diplôme. Elle l'avait eu son diplôme, histoire même. Depuis elle allait de musées en musées pour archiver, trier, classer des livres vieux comme le monde. Mais son objectif, c'était la DLCEM. Et elle n'avait pas le temps d'aborder les gens, de se faire une vie sociale. Elle n'en avait rien à faire. Elle voulait être comme lui.
☞ Monet Kaplan, vingt trois ans ans.
Enfin, elle y était. Hartley lui avait dit que sa mère était fière d'elle, qu'elle veillait toujours sur elle, depuis le ciel. Hartley l'avait encouragé, supporté jusqu'au bout. Elle lui était éternellement reconnaissante. En plus d'être son sauveur, il était devenu un père, puis un mentor. Elle aimait son Hartley. Sans lui, elle serait toujours à Boyce, peut-être à poursuivre l'élevage de chevaux de son oncle. «
Hartley ? » «
Oui ? » Elle n'eut pas le courage de le lui dire en face. Elle n'avait jamais était très sentimentale. Elle n'avait jamais réussi à dire à sa mère qu'elle l'aimait. Alors son père adoptif... elle baissa les yeux et se maudit d'être comme cela. Il lui tapota l'épaule avec un sourire. «
Je t'aime aussi Monet, je t'aime comme ma propre fille. » C'est ce qu'elle voulait entendre.
☞ Monet Kaplan, vingt quatre ans.
«
Je suis désolé ma belle » «
Toute mes condoléances, ton père était génial » «
Hartley va tous nous manquer ma jolie, il était super. »
Elle se contentait de hocher la tête, sans rien dire. Que dire de plus, de toute façon ? Elle avait encore perdu un être cher. Un accident on lui avait dit. Hartley était parti en mission, sur le terrain. Et il n'était pas revenu, voilà tout. Une attaque de monstre, on lui avait dit. On lui avait aussi toujours dit que les monstres ne s'en prenaient pas aux mortels. C'était parce qu'il voyait à travers la brume, comme elle ? Ou parce qu'il l'avait cherché ? Ou alors il était un dommage collatéral d'une confrontation entre demi-dieu/monstre ? Elle s'en foutait, elle ne voulait pas savoir. De toute façon, il était mort à cause d'eux. De ces erreurs de la nature, cette pitoyable mythologie. Oh, le moment venu, Monet se vengerait. Pour lui, pour son père.
☞ Monet Kaplan, vingt cinq ans.
Choisis ta team on lui avait dit. Elle s'était portée volontaire pour s'occuper de la colonie des Grecs. Elle qui rêvait de voir cet endroit depuis ses treize ans ! Elle n'allait tout de même pas rater une occasion pareille. Alors elle s'embarqua avec quelques autres agents de terrain et partit en direction de la colonie des sang-mêlés.
Leur attaque fût rapide, éclair, le mot ici était juste. Monet avait un but, elle savait déjà ce qu'elle allait faire. Elle se doutait bien qu'elle était toujours là. Elle qui avait juré qu'elle resterait fidèle jusqu'au bout à sa chère colonie. Après les événements de New York, elle avait du y retourner. Des cris, mêmes des pleurs. Armée jusqu'au dent, elle s'était faufilée à travers les bungalow avec ses collègues. Et puis quelqu'un sonna l'alerte et ils cessèrent de se faire discret. Elle tira des coups pour effrayer, et passa à l'acte. Des gamins. C'était comme une bande de gamins en vacances. «
Hartley. » pensa t-elle. Non, ce n'était pas que des gamins. On l'attaquait, elle se protégeait. Rien dire, ça faisait du bien. Le plaisir d'entendre hurler, de tirer une nouvelle fois. «
Concentre-toi, regarde, tu es y presque ma belle » La voix de sa mère pendant qu'elles étaient à la chasse résonnait dans sa tête. La bête s'écroula. Touché. Au suivant. La suivante en question lui tomba dessus. May. Oh, elle avait bien grandi. Elle avait l'air moins bête. Et un peu moins faiblarde aussi. Mais c'était elle la meilleure, Hartley lui avait juré.
«
Mo..Monet ? » «
Surprise. »
May frappa la première d'un coup d'épée, mais Monet fut plus rapide. Elle avait toujours dit qu'elle manquait d'entraînement. Toujours. Et sa théorie était juste. Elle avait pris son épée, et l'avait poussé à terre.
«
Monet, pourquoi tu fais ça ? Pourquoi vous faite ça ? » «
Parce que ça aurait du être moi. Et vous m'avez pris Hartley. » «
Papa et Maman t’ont pleuré durant des jours... Pitié... » «
Tu en penses quoi Hartley ? » «
Ah qui tu parles bon sang ?! » «
J'en rêvais depuis longtemps, de te donner une bonne leçon. Adieu May. Regarde Hartley, regarde bien. » «
Pitié Monet... »
Et l'épée s’enfonça une première fois dans sa poitrine et May hurla une dernière fois. Monet recommença une deuxième fois, puis une troisième fois. Si on l'avait laissé faire elle aurait sûrement pendu son cadavre. Elle l'aurait exposé à la vue de tous. Parce qu'elle le voulait. Parce qu'elle en avait besoin. Après tout, elle lui avait toujours tout pris. Elle voulait la voir souffrir, encore et encore. Et la voir agoniser était encore mieux. On tira sur son bras. Elle n'arrivait pas à détacher son regard de celui de May. Elle était morte. Elle avait réussi. Des deux gamines Kaplan, il ne restait qu'elle. Elle était la seule et l'unique, elle avait réussi.
«
M' ? On y va ! »
Sans un dernier regard pour celle qui avait été un jour sa sœur, elle se retourna et quitta la colonie. Un charmant endroit d'ailleurs. À l'occasion, elle y retournerait bien, mais en plein jour pour changer.
Le soir, elle rentra d'abord au QG. Elle prit une douche, se changea et comme à son habitude, fit le tour des bureaux. Elle aimait bien voir les nerds en actions. Ou les stratèges. Ou les autres. Bref, les gars qui restaient derrière leurs écrans ou leur bureau. Elle ne les comprenait pas ceux-là. Elle passa devant le bureau d'un de ses collègues, qui subissait régulièrement les moqueries enfantines de son voisin et s'arrêta justement chez ce dernier, arrivé il y a quelques mois. «
Tu ne rentres pas chez toi ce soir Isaure ? » Il était vraiment étrange lui, mais elle croyait les autres quand ils disaient qu'ils feraient une bonne recrue. Mais bon, elle ne savait pas trop à quoi s'attendre de la part d'un homme qui tenait des blogs sur la mythologie. Et quelques rumeurs disaient même qu'il avait lui aussi eu une histoire avec une sang-mêlés grecque. De quelle nature elle n'en savait rien, mais ça leur faisait un point commun. «
Non, je vais rester là encore un peu... » Elle haussa les épaules et quitta la pièce en souriant. Demain était un jour nouveau, elle se demandait déjà comment les deux attaques allaient être perçu. Et quel serait le prochain plan de la DLCEM.