Candy Crash

Étirement digne d'un félin, os craquant légèrement dans un son pour le moins sinistre. Les paupières s'ouvrent enfin, se plissant face à la lueur de la toute fin d'après-midi, parant la ville de nuances orangées et roses. Le songe espionné, visité, ré-interprété et manipulé laisse encore ses traces dans mon esprit, se marquant dans ma mémoire avant de laisser place à la réalité et les dures lois du monde « réel ». Je n'aime pas vraiment ce mot « réel », trop froid, droit, carré, subjectif. Qui a un jour décrété que le monde intangible physiquement visité durant notre sommeil n'est pas réel ? Enfin soit. Les oreilles se mettent à enregistrer les sons, immergeant, déterminant une position, identifiant l'endroit de la sieste improvisée et en partie non-désirée. Un jour, j'allais me retrouver à l'autre bout de la planète, dans un endroit glauque et peu accueillant à force d'avoir cette manie de me servir du moindre objet comme oreiller ou matelas. Ici, en l’occurrence, il s'agissait de l'herbe de Central Park, verte, fraîche, moelleuse et plus ou moins loin du gris des rues de la ville aux tours sinistres qui s'élèvent.  

Au bout d'une longue minute de repérage, mes jambes se levèrent d'elles-même, mains se glissant dans les poches en entament une démarche dégingandée, s'approchant de la civilisation en évitant de justesse quelques mortels pianotant sur leurs portables, tel des obstacles posés en travers de ma route pour éviter que je ne sombre dans l'une ou l'autre distraction. Je n'ai jamais compris cette étrange manie et addiction du téléphone portable, comme si la chose était le prolongement de leurs mains, un bras électronique qui sait tout faire, à l'image de nos dons à nous autres, sang-mêlés.

Enfin soit. La boutique de friandises, à deux doigts de fermer ses portes, est à ma portée. L'antre merveilleuse aux goûts sucrés n'a plus de secrets, empilant les bonbons et autres chocolats généreusement, ce qui ferait probablement pâlir les dentistes et les demoiselles ne se souciant que de leur régime. Mon butin est énorme, gérant des lieux fermant les porte de son royaume de sucre à ma sortie, trésors fraîchement achetés trônant fièrement dans mes bras alors qu'une sucette s'est déjà glissée dans une joue. Bêtise idiote, surtout que l'heure avance et la soirée tombe, le temps paraîtrait sûrement trop long avant que le sommeil ne m'attrape dans ses doigts délicats.

Au bout d'un temps, quelque chose m'irrite, me dérange. Un visage, une démarche, des pas qui semblent me suivre. Bien entendu, le hasard pourrait être une option, un simple individu ayant un domicile dans ma direction, mais certainement pas lorsqu'on portait le nom de Leïf et qu'on avait tendance à attirer tout un tas d'illuminés. Je tente donc de tester la jeune femme, prenant tout un tas de ruelles biscornues, tournant en rond, tentant de la semer. Elle respirait les ennuis à deux-cent mètres. J'attends donc le moment opportun pour me retourner et la confronter, resserrant un peu plus ma prise sur les précieuses friandises. Pas d'arme et certainement pas prêt, ni l'envie, de me battre, de faire face à une avalanche de problèmes qui vont entraîner une réaction en chaîne et certainement peu d'heures de sommeil dans la foulée. Le soupir m'échappe malgré moi.

Je fais volte-face, tombant face à la suiveuse pour le moins louche, me retrouvant face à la rouquine qui avait plus l'air d'une folle aux cheveux flamboyant que d'une psychopathe. Pas de panique, ce n'était pas comme si je n'étais pas habitué à ce genre de personnage, des mortels avec des névroses, j'en voyait tous les jours ou presque. Premièrement, retirer la boule de sucre qui encombre ma joue. Mon anglais n'est déjà pas terrible de base, alors augmenter la difficulté reviendrait à être incompréhensible. « On se connaît ? » Sur les milliers de phrases des trois langues maîtrisées et connues, il avait fallu que ce soit celle-là et le tout avec un accent à découper au hachoir. Parfois ma langue et mon esprit avaient un sérieux problème de connections et de transmissions. Probablement encore endormi. On fait de l'ordre, on trie et on recommence. « Vous me suivez ? » Déjà mieux, surtout avec le regard accusateur et les sourcils froncés. Ne pas montrer que j'étais à l'aise et agir en mortel, là était toute l'astuce. J'espère qu'elle n'en veut pas à mes friandises...

Raggedy

« Petit, petit... Viens ici mon minou... » C'était peine perdue, l'animal boitant et au pelage hérissé semblait particulièrement hostile à la tentative d'approche de la demoiselle, il était décidé a ne pas se laisser approcher. Cela ne l'avait pas pourtant empêcher de s'accroupir en plein milieu de la rue, gênant la circulation de cette masse grouillante accro à la technologie et autres vices qu'elle n'appréciait pas réellement. Elle fit un pas vers le félin en tendant doucement la main vers lui, immédiatement l'animal fit un bon en arrière en hurlant... C'était peine perdue. Quel dommage, elle n'aurait pas été contre le fait de ramener un animal à la colonie, si celui-ci pouvait passer l'entrée évidemment, une interrogation qui restait en suspens dans son esprit, sans doute poserait elle un jour la question à Chiron si elle ne l'a pas oublié d'ici là. En attendant, elle se relève sans un mot, un passant la bouscule à cet instant, risquant de la faire chuter, elle retient un juron que son agresseur passif ne se gêna pas a exprimer en voyant son ''smartphone'' s'envolait haut dans les airs. Imaginant déjà le pire, la petite rousse prit la fuite dans le sens opposé, quelques pas pour se mêler à la foule et elle se volatilisa dans la masse grouillante. Seule son épaisse chevelure de feu voguant à l'air libre, sans la moindre attache, aurait put la distinguer d'un autre citoyen de la grosse pomme, fort heureusement personne ne semblait porté attention a cette jeune femme parmi tant d'autres. Les visages défilaient mais aucun ne restait gravé dans l'esprit de chacun, rare étaient ceux qui portaient encore attention aux petits plaisirs qu'offrait la vie et encore plus rare étaient ceux qui levait les yeux hors de leur écran, pas pour en fixer d'autres, mais pour voir le monde hors de cette ''réalité augmenté'' qui devient peu à peu chose commune.

Bref, elle soupire en plongeant ses mains dans ses poches et erre quelques instants. Elle était venu pour refaire un peu son stock de marchandise mais n'avait plus un centime en poche, triste coup du destin. Mais actuellement, retourné à la Colonie n'était pas une idée plaisante, elle n'y trouvait plus la sécurité et le confort d'autre fois, il ne restait plus que la peur, du moins pour elle. Alors elle s'égare dans les rues d'une ville sans doute bien plus dangereuse que son propre monde, une cité faîte de béton, où les espaces verts se perdaient petit à petit. C'est alors que perdu dans ses pensées, un éclat de couleur lui fit relever la tête, elle jurait d'avoir vu un paquet de ces gourmandises sucrée qu'elle aime tant, d'instant elle commence à suivre ce doux parfum sucré qui lui titille très légèrement les narines. Qu'espère t'elle dans le fond ? Elle l'ignore, elle ne sait même pas comment réagir lorsqu'elle se retrouva face à ce mystérieux personnage. Tout ce qui l'attirait a cet instant étaient les friandises sucré et elle n'aspirait qu'à mettre les doigts sur une boule de gomme au minimum, a cet instant, on ne pouvait pas dire qu'elle réagissait comme n'importe qui, son cerveau comme son instinct de survie semblaient s'être mit en veille, avoir prit congé face à une gourmandise si envahissante. Il ne fallait pas toujours essayer de comprendre les réflexions de la jeune femme, il n'était pas rare que ceux-ci étaient encore plus simple que ceux d'un enfant de cinq ans, animé par un seul et unique désir sans prendre en compte la réflexion tout autour d'un pulsion.

Elle se retrouve alors comme une idiote lorsque l'inconnu fait volte-face, avant tout désarmé, son esprit s'apaise rapidement lorsque celui-ci ouvre la bouche, elle doit même faire un effort terrible pour ne pas exploser de rire face à un accent aussi terrible. Mais elle finit par bafouiller en cherchant quoi répondre, de ne pas trop ridicule ni complètement absurde. « Euh... Je... Hum, euh... Vous... Votre chemise, elle n'est pas dans votre... pantalon... Euh, vous êtes... Un peu, débraillé... » Se tourner en ridicule, c'est fait. Son regard courait dans tout les sens, évidemment en plus des confiseries, la première chose qu'elle remarque est un bout de chemise qui n'est pas dans un pantalon. C'est juste après qu'elle se rendit compte qu'elle ne pouvait pas être plus à côté de la plaque, assez rapidement, elle tenta de rectifier le tire. « Heum, non ! Excusez-moi, je veux pas dire que vous êtes laid, au contraire... Ah ! Heum, c'est... Euh, ce sont des dragibus que vous avez en poche ? » D'accord, il n'y avait pas plus humiliant que ce moment, cette rencontre, la rouquine rougissait, ce qui allait bien avec la couleur de ses cheveux, mais là n'était pas le sujet. Elle nota en plus de ne plus suivre sa gourmandise, même si une petite voix dans sa tête résonnait en hurlant qu'elle avait envie de sucre.

Candy Crash

Les mots confirment probablement mes pensées, une histoire de chemise, une maniaque des plis dans les vêtements et probablement avec une demeure où tout est rangé et planifié au millimètre près. Classique, même un peu effrayant lorsque ça allait jusqu'au point de suivre un parfait inconnu. Une main détache tout de même son emprise du butin, se glissant sur le coin de chemise rebelle qui avait du s'écarter de sa place initiale lors de ma sieste, voir de ma pseudo course-poursuite qui n'en était pas vraiment une.

Alerte rouge, voilà qu'elle commençait à dériver sur un sujet dangereux surtout avec son regard qui semblait convoiter la chose. La prise autour des friandises se resserre à nouveau, serrant un brin les dents. Elle n'allait tout de même pas me battre à mort pour me voler si ? Dans un sens je pourrais lui laisser quelques sucreries et terminer cette histoire en deux temps, trois mouvement, mais le sucre lui-même me montait à la tête et semblait me murmurer de le conserver jalousement. Idiot comme réaction, égoïste aussi, immature et terriblement enfantin.

« Je... euh... » Les jambes firent le reste avant même que je n'aie le temps de terminer ma phrase (ou même de la commencer), enchainant les pas dans une course afin de la semer une bonne fois pour toute. Mon appartement n'était qu'à quelques rues d'ici. Enfin... en principe. Avec tout ça, j'avais carrément oublié où nous nous trouvions. Même avec le temps de les années, la Grosse Pomme restait un véritable labyrinthe, incapable de connaître toutes ses ruelles et impasses par cœur comme je connaissais si bien celles de Honningsvåg (en même temps les tailles n'avaient rien à voir entre elles). Mes jambes tournent, se perdent un peu plus, s'enfoncent de plus en plus loin dans ce quartier inconnu et peu arpenté, tombent dans une ruelle et là, comme si le labyrinthe de la ville ne suffisait pas, il fallait que cela devienne littéral dans une ironie qui aurait pu me faire rire en d'autres circonstances. Au fond d'une ruelle, le souffle chaud et les poils saillant, se dressait un minotaure. La créature est de dos, imposante, presque effrayante même, capable de déchiqueter un être en moins d'une seconde. La situation devient ridicule, grotesque.

« Faen i helvete ! » Le juron sort de lui-même, automatique. Fort heureusement le Bokmål n'est pas vraiment courant dans cette partie du globe et donc incompréhensible. Enfin incompréhensible, mais certainement pas inaudible et là est probablement tout le problème, surtout vu le regard menaçant de la créature qui se pose sur moi. C'était toujours comme ça. Une altercation menait à une autre, aggravant la chose encore et encore jusqu'à-ce que les choses finissent en montagne absolue de problèmes en tout genre et le tout avec mes deux pieds bien enfoncés dans le plat. Vraiment une habitude. J'aurais vraiment du donner quelques uns de mes dragibus à la rouquine, je n'en serai sûrement pas là.

Courir, de nouveau, dans l'autre sens. C'est là que je vois l'autre folle que je n'avais pas semée. Elle était obstinée à ce point ? Dilemme, lâcher une partie de mon butin ou la laisser en proie à la bête. Dans un sens, ça règlerait mes deux problèmes, mais ce ne serait certainement pas raisonnable de laisser une mortelle seule face à la créature. Les gestes sont rapides, saisissant son poignet tandis que je tente de conserver mes friandises, l'embarquant dans une nouvelle course. J'aurais aimé avoir le don de course éclair, plus rapide que le son et à disparaître en une seconde ou une téléportation, bref de quoi augmenter nos chances de survies. J'aurai pu tenter de me servir de ma capacité d'imitation, la rouquine n'aurait rien vu de l'illusion, mais les muscles de mes jambes prenaient le dessus. « Un type louche et armé, il ne vaut mieux pas rester là. » Ça passait tout de même mieux que "attention créature mythologique à deux doigts de nous embrocher avec ses cornes".