☞ Faire honneur à son nom.
"Pourquoi avons-nous honte d'être américain ?" Avait un jour demandé le jeune Dewei à son père.
À l'expression offensée du chef de famille, le garçon sut qu'il avait mis le doigt sur un sujet sensible. Depuis son plus jeune âge, Dewei avait compris une chose : la famille Law était
fière. Ou plutôt : c'était une fierté de faire partie de la famille Law. Trois lettres qui mettaient une incroyable pression sur les épaules de qui les portait. Le garçon avait, en plus, hérité d'un prénom qui sonnait un peu américain (Mais pas trop... Il ne faudrait pas trahir leurs racines) mais qui signifiait surtout
'de grands principes'. Des histoires sur les exploits passés de la famille Law, il y en avait des tas. Dewei connaissait en détail les grandes actions de ces ancêtres bien avant de savoir l'Histoire de son pays d'adoption. Certaines histoires étaient historiquement possibles, comme par exemple, le rôle de la famille Law dans la première guerre de l'opium ou dans la révolte des Taiping, dix ans plus tard. Mais celle de son grand-père assurant que leur premier ancêtre avait volé une perle à un dragon ressemblait plus à un conte pour enfants qu'à un réel exploit.
Dewei ne se sentait pas particulièrement fier d'être un Law. On le disait encore trop jeune pour comprendre. Pourtant, son jeune âge ne l'empêchait pas de remarquer les failles dans les histoires. Par exemple, que la famille Law n'avait rien plus rien fait d'exceptionnel depuis qu'elle avait quitté la Chine. Que ces parents utilisaient les mots
'obligés de partir' lorsqu'on arrivait au moment expliquant le départ des arrière-grands-parents vers les États-Unis. Qu'ils n'avaient jamais quitté Chinatown. Qu'on ne parlait jamais anglais à la maison. Qu'on ne fêtait pas l'Independence Day. De ce fait, il n'avait pu s'empêcher de demander si être un
'Law' signifiait avoir honte d'être américain.
"C'est le Karma." Lui avait répondu son père. Ce qui clôturait toujours la discussion, même quand elle ne répondait pas du tout à la question comme dans la situation présente.
Dewei n'insista pas et se contenta de hausser les épaules en baissant le regard.
Le Karma. Un mot qu'il entendait souvent. Presque aussi souvent que la phrase
'être un Law' comme si les deux choses étaient indissociables l'un de l'autre, comme si c'était la réponse à tout, l'explication ultime ou une espèce de malédiction. Selon son père, leur famille avait accompli tellement de hauts faits dans le passé, qu'il était logique d'avoir une période de banalité pour équilibrer la balance. L'Univers avait son propre équilibre et il fallait s'y plier (qu'on le désire ou non). Ce qui n'empêchait pas chaque génération de Law d'espérer être celui qui briserait la monotonie de leurs vies puis de transmettre ce poids à la génération suivante lorsqu'ils échouaient à réaliser cette ambition.
☞ Personne ne veut être ordinaire dans un monde extraordinaire.
Ces journées ne comprenaient aucun temps libre. Le matin, il se levait deux heures à l'avance pour faire des exercices de Tai Chi avec son grand-père afin d'améliorer sa souplesse puis on attendait de lui qu'il reste assez sagement à relire ces leçons jusqu'à l'heure de l'école. À la fin de la journée, Dewei se rendait à sa leçon de kung-fu où on l'avait inscrit dès l'âge de huit ans. Puis retour à ces devoirs et répéter ces exercices d'art martiaux appris le jour-même jusqu'à s'écrouler de fatigue.
Ces cours étaient les seuls moments où il échappait un peu à la pression familial. Le professeur était quelqu'un de... Spécial... Pour rester poli. Il marchait avec des béquilles à cause d'une vieille blessure faite pendant une compétition (d'après ces dires) et portait sa casquette quelles que soient les saisons. Il n'y avait pas de grade, aucun moyen de savoir qui était le meilleur. Pourtant, Dewei remarqua vite que le professeur privilégiait certains de ces élèves. Ces derniers n'avaient pourtant rien de particulier. Ils semblaient du genre hyper-actif, mélangeaient certaines lettres. Pourquoi avaient-ils toute l'attention du professeur ? Alors que lui travaillait plus dur que les autres ? Pire que tout, le professeur leur donnait le droit de l'accompagner dans un voyage. Où ? Peut-être à un tournoi ou quelque chose dans le genre, Dewei n'en savait rien. Il savait juste que, lorsque ces veinards daignaient réapparaître, ils se comportaient comme s'ils étaient des sortes d'élus, regardant le cours sans y assister, rigolant avec le prof, parlant dans une espèce de langage codé ou faisaient des allusions incompréhensibles.
Ce favoritisme injustifié l'énerva un peu plus à mesure que le temps passait. Le garçon avait beau s'entraîner de plus en plus dur, jusqu'à ce que chacun de ces muscles le fasse souffrir le martyr, jusqu'à ce que ces poings saignent à force de cogner, son professeur ne lui proposait jamais cette fameuse excursion. Il se jura d'en connaître un jour la raison.
Comme si le garçon n'avait pas déjà suffisamment de pression, la famille s'agrandit une dizaine d'année plus tard. D'abord d'une petite sœur, puis, à une année d'intervalle, de deux garçons. Les parents avaient abandonné leur idée de prénom à consonance américaine. Le petit dernier porta celui de
'Chao' qui signifiait
'surpasser'. Dewei y vit comme un message qui lui était adressé. Que s'il échouait à être le meilleur, tous les espoirs seraient reportés sur le suivant. Maintenant qu'il était l'aîné, il devait être irréprochable, sacrifier du temps pour s'occuper des plus jeunes, leur montrer l'exemple. A cause de la forte différence d'âge, il agissait plus souvent avec une attitude à la limite du paternel que du fraternel.
"Tu pourras t'épuiser en t'entraînant autant que tu veux, Law, jamais tu n'arriveras à notre cheville." Avait lancer un jour un des protégés du prof de kung-fu.
"Répète çà ?!" Avait hurler Dewei en se jetant sur lui.
Le combat fut rapide, malgré tout le talent de l'Asiatique et ces entraînements acharnés, il fut fauché d'un balayage de pied après avoir placé que deux coups qui ne semblaient faire aucun effet.
"Tu n'as rien de spécial." Lui avait souffler son adversaire avant de se relever avec un sourire narquois.
Dewei était resté un moment au sol en se mordant la lèvre pour ne pas hurler de rage et de frustration. Parce qu'on attendait de lui qu'il soit parfait, encore plus qu'avant, l'aîné des Law devint facilement irritable et bagarreur. Toute cette pression devait bien sortir d'une manière ou d'une autre.
☞ La vengeance est une justice sauvage.
Paradoxalement, ces parents ne nourrissaient pas des ambitions grandioses au sujet de son futur métier. En tant qu'aîné, il semblait destiné à reprendre le commerce familial. Dewei refusa cette perspective d'avenir. Tous ses sacrifices pour finir dans une banalité aussi affligeante ? Hors de question. Lui, il visait bien plus haut. On lui avait rabâché depuis son enfance qu'il devait être digne du nom Law. Hé bien, il allait prendre ces remarques au pied de la lettre et entrer dans la police new-yorkaise.
"Être au plus près de la loi. N'y a-t-il pas de meilleure place pour un Law ?" Avait-il plaisanté auprès de son père après avoir défendu son projet d'avenir. Le paternel renifla bruyamment d'un air méprisant. Il n'avait pas donné sa bénédiction, mais n'avait pas dit
'Non'.
Il aurait pu viser l'armée. Peut-être l'aurait-il fait si ces réelles motivations étaient de protéger et servir. Si Dewei voulait entrer dans la police, c'était pour se venger de l'humiliation qu'il avait reçue des années plus tôt à son cours de kung-fu par la faute des favoris du prof. Cela avait beau daté, la douleur de la défaite restait toujours aussi vivace. Plus il y réfléchissait et plus son instinct lui soufflait que quelque chose de louche se jouait dans ce club qu'il continuait de fréquenter. Il rêvait de découvrir la vérité, surtout si cette dernière incluait la joie de passer les menottes à ceux ayant ricaner de ces efforts.
Dans ce but, Dewei se montra incroyablement patient. Après ces études, il prit deux années sabbatiques pour se préparer à sa future formation. Durant ce temps, on le voyait bien plus souvent au club, mais le temps où il prenait la mouche pour la moindre remarque semblait révolu. En réalité, le jeune homme continuait de fulminer intérieurement et prenait note des éléments lui semblant suspect.
Plaque en poche, Dewei se plongea dans un travail qui s'avéra plus passionnant qu'il ne l'avait supposé à la base. Oh, il n'en oubliait pas sa vengeance, mais rassemblé des preuves fut plus difficile que prévu. Voir quasiment impossible. Pourtant, il n'en démordait pas : cette histoire cachait quelque chose de louche. Le policier avait déjà ressenti cela dans certaines affaires, en interrogeant certains suspects ou en se baladant en ville. La sensation que certaines personnes n'étaient pas ce qu'ils prétendaient être.
Un soir, après son service, il n'y tenu plus et décida d'attendre un des fameux voyages du professeur pour les suivre à bonne distance. La filature s'annonçait simple. En plus du professeur, il y avait deux gamins et Frank, celui qui avait osé dire qu'il n'avait rien de spécial. Devant ce détail, Dewei ne put s'empêcher d'afficher un sourire mauvais. Il avait hâte de les coincer ! Surtout que le petit groupe se comportait comme s'ils se savaient suivi. Une preuve indéniable qu'ils avaient quelque chose sur la conscience.
La suite semblait sorti d'un cauchemar. Il continuait de suivre à bonne distance le petit groupe lorsqu'un monstre apparut. Oui, un monstre. Sur le moment, Dewei refusa d'en croire ces yeux. La panique prit les commandes et le policier sorti son arme pour tirer sur la bête monstrueuse qui voulait s'en prendre aux plus jeunes. Les balles n'eurent aucun effet ! Et... Rêvait-il ou son professeur avait lâcher ses béquilles pour cavaler comme... Une chèvre ?
"Law ??? Qu'est-ce que tu fou ici ?!" S'étonna Frank qui tenait soudainement une épée. Dewei aurait juré qu'il y a quelques minutes, il n'avait rien en main.
"Qu'est-ce que c'est que cette chose ?" Hurla à son tour Dewei en continuant de pointer son arme sur le monstre.
"Quoi ? Tu veux dire que... Tu peux la voir ?" Bien sûr qu'il pouvait la voir ! Comment rater une créature de cette taille ? Dewei n'eut pas le temps de formuler ce commentaire ni mettre en garde Frank. Le monstre profita de l’inattention du sang-mêlé pour l'attaquer. L'assaut fut bref, fatal. Puis, la créature se désintéressa de lui pour partir à la recherche des autres membres du groupe qui avait réussi à s'échapper.
☞ Nous tombons pour mieux apprendre à nous relever.
On le retrouva, seul témoin, couvert du sang de la victime, ces empreintes sur le corps quand il avait tenté d'arrêter la blessure de saigner. Les apparences étaient contre lui. Ne pas arrêter d'affirmer qu'un monstre était responsable de ce crime ne joua pas non plus en sa faveur. En plus, il avait un passif avec la victime.
Durant le procès, Dewei fut abandonné par tous et se fut çà, plus que la peine de dix ans de prison pour homicide involontaire qui le détruit réellement. Il avait pourtant dit la vérité.
Les deux premières années de son incarcération, il vécut l'Enfer. Les autres prisonniers le voyaient comme un ancien flic, une victime de choix contre laquelle se défouler. Les gardiens le voyaient comme un des leurs qui avait franchi la ligne, autant dire qu'ils ne pouvaient espérer beaucoup d'aide de ce côté-là. Ces passages à tabac ressemblaient à une routine vicieuse dont ces bourreaux ne semblaient jamais se lasser. Bien qu'il rendait les coups avec la rage de celui qui n'avait plus rien à perdre, ces histoires se finissaient toujours à l'infirmerie ou en isolement. Puis, un beau jour, il reçut une visite très particulière.
"Nous nous excusons pour l'attente, Monsieur Law. Il nous fallait vérifier la véracité de votre version de l'histoire.""Vous êtes mon nouvel avocat ?" Demanda Dewei avec méfiance. Il avait demandé en vain à faire appel sur son jugement, mais son avocat voulait le faire plaider la folie.
"Pas vraiment." Répondit l'homme en costume impeccable.
C'est ainsi qu'il apprit la vérité. Il n'était pas fou, les monstres existaient. La mythologie grecque existait. Toutes ces vieilles légendes étaient vraies. Le prof en béquille ? Un satyre. Les élèves dyslexiques qu'il emmenait ? Des demi-dieux qui devaient être amenés à une espèce de camp secret dès que les pattes de boucs les repéraient. Le plus dur est de réaliser que cet idiot de Frank avait eu raison. Dewei pouvait s'entraîner le reste de sa vie, ces sang-mêlés avaient tracé une ligne impossible à franchir pour les simples mortels. Mais, heureusement, il y avait un
'mais'. La DLCEM avait de quoi les vaincre. Les personnes comme lui capable de voir à travers la Brume étaient recherchées. Sans doute que l'ex-policier aurait été recruté par la procédure réglementaire s'il n'y avait eu l'accident l'ayant conduit derrière les barreaux.
"Si vous tenez trois années de plus, vous remplirez les conditions pour une liberté conditionnelle et commencerez une formation avant de travailler dans nos services. Vous en sentez-vous capable ?"Dewei lança un regard à la femme qui accompagnait monsieur costard et avait passé tout l'entretien à le juger du regard en silence. L'Asiatique sourit.
"Vous venez de me donner la meilleure motivation du monde."En effet, savoir qu'il n'était pas fou et qu'un avenir intéressant l'attendait fut la meilleure motivation possible. Il continuait de s'entraîner dans sa cellule, supportait les coups et fit profil bas autant que possible. Ensuite, il put signer pour une seconde chance dans les rangs de la DLCEM.
☞ Today.
Être agent de terrain vous obligeait à accepter toutes sortes de missions, même celle qui ne vous plaisait pas. Dewei détestait jouer les snipers. Rester immobile à attendre une fenêtre de tir équivalait à un véritable supplice pour lui. Comme si quelqu'un avait décidé d'empirer son humeur, son téléphone sonna.
Foutu Karma."Oui ?" L'agent avait calé son téléphone entre son coup et l'épaule pour pouvoir reprendre son arme en main et regardait toujours avec insistance à travers la lunette de viser.
Il était décidé à en finir au plus vite, autant avec cette mission qu'avec cette conversation téléphonique. Il entendit les sanglots de sa sœur au bout du fil et cette volonté flancha.
"Papa est mort." Arriva-t-elle a dire à dire entre deux sanglots.
Silence. Sa sœur était la seule avec qui Dewei gardait le contact. La seule qui était venue le voir en prison, même si elle l'avait toujours regardé avec un mélange de gêne et de pitié lorsqu'il lui disait être innocent. À la fin des appels, elle disait toujours
'tu as un bonjour de toute la famille' alors qu'ils savaient tous les deux que l'ancien policier était devenu un paria chez les Law depuis cette histoire de procès.
"Il t'aimait beaucoup." Ajouta-t-elle comme si cette phrase pouvait lui soutirer une réaction. Sans succès. Comment pourrait-il croire à un mensonge aussi gros ?
"Il avait quel âge ? 78 ans ? C'est un bel âge." Commenta-t-il laconiquement. Sa sœur commença une protestation sur un ton scandalisé, mais Dewei lui coupa l'herbe sous le pied.
"J'ai du travail, je te rappelle plus tard." Puis il raccroche et se concentre de nouveau sur sa cible. La seule chose qui comptait vraiment dans ce monde de fou.
Il ne rappela pas. Le lendemain, sa sœur lui envoya un texto lui annonçant la date et le lieu de l'enterrement. Dewei aurait dû choisir entre rendre un dernier hommage à un père qui l'avait renié ou participer à la plus grande attaque des camps adverses ? Le choix était vite fait. Sa vraie famille était la DLCEM.
© .ipar haizea