- mémo couleur:
drizzle.
papa.
ellen.
sam.
eytàn.
aphrodite.
oak.
Philadelphie, 2004.
Snickers ou Kinder Bueno ? Je levais les deux paquets et les agitaient sous le nez de mon père.
Ah, l'éternel dilemme. Il regarda un instant les barres chocolatées d'un air songeur avant de sourire d'un air rusé.
Mets les deux dans le panier. Je n'ai pas le cœur à choisir, aujourd'hui. Ellen n'allait pas être contente et je m'en réjouissais d'avance. C'était mal, je le savais mais un peu de malice ne faisait de mal à personne, pas vrai ? Mon père s'éloigna chercher des Crackers pour notre festin de ce soir et je lui criais également de ramener tout le Coca-Cola qu'il pourrait trouver. Il rit comme je ne l'avais jamais entendu depuis longtemps. Mon père avait été un acteur de sitcom très célèbre dans les années 90 mais sa carrière avait pris un mauvais tournant et lui s'était enfoncé dans l'alcool. Il avait été malade, comme me l'avait dit Ellen. Mais il allait mieux, maintenant. Son séjour en cure l'avait transformé et notre départ de Los Angeles pour Philadelphie, également. Loin du show-business, des paparazzis. Il était prêt à reprendre son rôle de papa. J'en étais sûre. Je sentis une vague de bonheur monter en moi en repensant à son rire de tout à l'heure et un garçon d'une quinzaine d'années retint une exclamation de surprise. Il s'approcha lentement de moi, m'examina pendant deux secondes avant de se racler la gorge.
Salut, je suis ton nouveau protecteur. Je plissais les yeux devant sa main tendue. Il se racla une nouvelle fois la gorge, comme s'il était gêné.
Euh... Tu es une sang-mêlé. Un demi-dieu. Pardon ? Tu n'as qu'un parent, n'est ce pas ? Je reculais d'un pas. Comment savait-il que ma mère n'était plus là ?
S'il te plaît, dis-moi que tu n'es pas un monstre ! Je secouais lentement la tête et il parut soulager.
T'es qui ? Il soupira, tentant visiblement de garder son calme.
Je te l'ai déjà dit je suis ton protecteur. Un satyre. Et toi, tu es une sang-mêlé. Regarde. Il me sortit un morceau de canettes poli qui me renvoya mon reflet.
Tes yeux. Je m'approchais et vis ce qui le troublais tant.
Bah ça... Mes yeux étaient... Mes yeux avaient changé de couleur. Ils avaient pris une teinte couleur jaune-orangée. Or, j'étais quasiment sûre que mes yeux étaient originellement bleus. Je les fermais fort tandis que l'autre garçon partait dans des histoires abracadabrantes sur une espèce de colonie avec des enfants de dieu se battant contre des monstres.
Tu dois te sentir un peu perdue mais ne t'inquiètes pas, Chiron s'occupera de toi et tu... Je rouvris mes yeux et poussai un soupir de soulagement, quoique un peu déçue. Ils avaient repris leur teinte normale.
C'était rien, juste la lumière. Excuse-moi mais j'ai déjà beaucoup à faire pour devoir en plus m'occuper de monstres mythologiques. Il me regarda d'un air étrange.
Tu as quel âge ? Je m'apprêtais à lui balancer une réplique bien sentie lorsque mon père apparut au détour du rayon.
Drizzle ? On y va, Ellen nous attend. Je me tournais vers le garçon dont le visage avait viré au vert. Il semblait paniqué.
Il faut que tu viennes avec moi ! C'est dangereux dehors. Je lui adressai un rapide "au revoir" avant de rejoindre mon père. Ce type avait besoin de se faire soigner, ça devenait grave.
Je ne bouge pas, appelle-moi si tu as besoin d'aide ! Mon père m'adressa un regard interloqué auquel je répondis pas un haussement d'épaule.
Philadelphie, 2004.
Papa ? Je fouillais des yeux notre immense cuisine et fronçais les sourcils en m'apercevant qu'il n'était pas là. Il devait être là. Je vis une ombre remuer près de l’îlot central et me précipitais derrière pour y découvrir mon père étalé sur le carrelage. Il respirait à peine. Je le secouais de toutes mes forces mais il n'ouvrit pas les yeux. Un cauchemar. C'était un cauchemar. Cela ne pouvait pas recommencer à nouveau, il allait bien, il souriait encore hier.
S'il te plaît. Allez. Murmurais-je. Mes larmes s'écrasèrent sur son visage.
Ellen. Pas assez fort.
Ellen ! Ellen ! Ma belle-mère accourut et il ne lui fallut qu'un coup d’œil pour comprendre ce qu'il s'était passé. Elle s'empara du téléphone et quelques minutes plus tard, j'entendais déjà les sirènes de l'ambulance s'approcher de notre immeuble. Ellen m'éloigna de mon père d'une main ferme et je me levai sur mes jambes tremblantes, titubant jusqu'au couloir. Je claquais la porte de ma chambre et me recroquevillais contre celle-ci, enfouissant ma tête dans mes mains. Ce ne pouvait pas être vrai. Mon père allait mieux. C'était une erreur, il s'était juste cogné quelque part et évanoui sur le choc. Juste cogné.
La sonnerie du téléphone me réveilla en sursaut. Ma tête m'élançait comme pas possible et je voyais à peine devant moi. J'atteignis tout de même le téléphone on ne sait comment et le décrochais.
Drizzle, c'est moi. Ellen. Je grimaçais. Rien que sa voix m'horripilait et je n'étais absolument pas d'humeur à jouer dans la dentelle.
Où est mon père ? Il va bien ? Je l'entendis soupirer de l'autre côté de la ligne.
Ce n'est rien, n’est-ce pas ? Il se remettra vite et reviendra ce soir à la maison. Je pensais vainement qu'en énonçant mes désirs, ils deviendraient réels. Je pensais vainement que tout redeviendrait normal. Que mon père ne serait pas obligé de retourner dans cet maison de fous. J'avais tort.
Nous sommes à l'hôpital. Ton père s'est réveillé mais il ne reviendra pas ce soir, chérie. Bientôt. Dès qu'il ira mieux. Mais il n'ira jamais mieux ! Son cerveau avait complètement sauté. Je posais le téléphone sur son socle d'un geste brutal, me retenant de le balancer par la fenêtre. J'essuyais rageusement mes larmes et pris, à seulement neuf ans, la plus importante décision de toute ma vie.
Une heure plus tard, je me trouvais en face de notre immeuble scintillant. Trop grand, trop beau, trop luxueux. Tout cet argent que mon père avait amassé lors de ces années de célébrité, à quoi lui avait-il servi ? Il est devenu dépressif au moment où la lumière des projecteurs s'était éteinte. Et ma mère qui avait disparu, m'abandonnant dans ses bras et le laissant seul face à son angoisse. Je n'y comprenais rien. Comment avait-elle pu ? Comment avaient-ils pu ? Je leur en voulais tellement à cet instant. Tellement.
Hé, l'satyre ! C'est bon, je suis là maintenant ! Montre-toi. J'avais deviné juste. Il m'attendait, comme il me l'avait promis, un grand sourire sur son visage bien que ses yeux toujours en mouvement dénotaient une certaine anxiété. Il avait toujours cette démarche claudicante que je n'expliquais pas. Il m'avait dit quoi, déjà ? Des jambes de bouc. Mais bien sûr. Je lui fis vite ravaler son sourire.
Détrompe-toi, je ne suis toujours pas folle au point de croire tes délires sur les satyres, les dieux et les grecs. Je veux juste m'installer dans ta colonie de New York. Compris ? Le garçon ouvrit la bouche mais je maintenais ma position. C'était impossible, digne d'un des films de mon père. Il secoua la tête et me pressa jusqu'à la rue voisine où une camionnette ornée d'une énorme fraise nous attendait. Je n'avais pas pensé une seule seconde que ce gars pouvait être un kidnappeur ou une chose de ce genre. Je voulais juste partir de cet endroit, m'éloigner de ces gens en qui je n'avais plus une once de confiance.
New York, 2004.
Après un court voyage, nous arrivâmes à New York. J'avais appris entre temps que le garçon s'appelait Oak, qu'il sortait avec une nymphe des bois et qu'il adorait tout particulièrement les canettes d'ice tea. Les canettes, oui. Il était tout de même très gentil, très prévenant à mon égard. Il me rappelait mon père dans ses bons moments. La camionnette nous avait laissé près d'un café, histoire de nous dégourdir les jambes.
On va où après ? Dis-je, nerveusement. Je ressentais ma rage diminuée peu à peu et les doutes m'assaillirent. Et si je me trompais sur toute la ligne ? Des picotements parcoururent mon nez et j'éternuais bruyamment. J'aurais du mettre mon manteau. C'est alors qu'une chose très étrange se passa. Mes cheveux. Mes cheveux blonds avaient virés au rose. Un très joli rose soi-dit en passant. Mais du rose, quoi.
C'est... ? Je touchais mes cheveux, les yeux écarquillés. Je me tournais vers le garçon qui me regardait d'un air satisfait. C'était une blague ? Le petit sourire de mon ami s'éteignit subitement et il poussa un cri de frayeur, soudain imités par tous les passants dans la rue.
Cours ! Drizzle, cours ! Il m'attrapa la main et détala à toute vitesse. J'eus à peine le temps de jeter un coup d’œil derrière mon épaule mais ce que je vis me gela littéralement de l'intérieur. Un énorme oiseau à moitié femme fondait sur nous à toute vitesse, le visage déformé par la colère. Bordel. J'accélérais, poussant de toutes mes forces sur mes jambes mais le monstre, ou quelque soit cette chose, se rapprochait inexorablement. Je sentais d'ici les relents de puanteur qui émanait de son corps. Ses serres étaient tout proches, à présent, quand un groupe d'adolescents armés jusqu'aux dents surgit devant moi. Celui qui semblait le plus âgé serra les doigts autour de son épée et la planta en plein dans le monstre.
Retourne au Tartare, sale pigeon. C'en était trop pour moi, je laissais sortir ce cri que je retenais depuis trop longtemps.
C'est fini, Drizzle. Je tentais de reprendre mon souffle au milieu de toute cette confusion. Les personnes autour de nous couraient comme des dératés, seul le groupe de jeunes semblaient calme, presque content.
Heureusement qu'on passait dans le coin, hein Oak ? Mon protecteur lâcha un vague rire tremblotant. Je fixais mes yeux dans les siens, tentant de retrouver mes esprits.
Les dieux grecs, tu disais ?Colonie des sang-mêlés, 2004.
Sam ! Saaaaam ! Je courais à travers les bungalows, complètement surexcitée. Samaël apparut soudain au détour du bungalow d'Héphaïstos. Il écarquilla ses yeux, littéralement choqué.
Driz, tu... J'éclatais de rire et lui sautais au cou comme j'avais l'habitude de le faire depuis que j'avais fait sa connaissance, il y a à peine trois mois. J'avais l'impression de le connaître depuis tellement longtemps maintenant, comme s'il avait toujours été là. Mon meilleur ami, Samaël.
J'ai été revendiqué, Sam ! Fille d'Aphrodite, tu te rends compte ? Moi qui pensais être une enfant de dieux mineurs. Il m'écarta de lui et m'examina attentivement, son expression de surprise s'accentuant encore un peu plus.
Fais pas attention. C'est, hum, la bénédiction d'Aphrodite ou j'sais plus trop comment ils l'ont appelé. Dis-je, un peu gênée. Sam cligna plusieurs fois des yeux avant de sourire d'un air malicieux.
T'as l'air d'une vieille, comme ça. J'ouvrais la bouche d'un air outrée mais il me prit dans ses bras en rigolant.
Je rigole. Tu ressembles à une princesse. Je pouffais et reculais de deux pas avant de faire une révérence maladroite.
Princesse Didi, enchantée. Il m'ébouriffa les cheveux et étouffa un juron en les voyant se remettre docilement à leur place, comme par magie. Aphrodite. Je n'aurais pas du m'en étonner étant donné qu'elle était la plupart du temps attiré par des célébrités.
Tu vas le dire à ton père ? Mon expression lui indiqua qu'il valait mieux changer de sujet de conversation. J'avais appelé Ellen deux jours après mon départ de Philadelphie (je refusais d'appeler cela une fugue) et lui avais expliqué que j'avais rejoins une sorte d'école pour enfants à problèmes, le temps que mon père se remette sur pieds. Elle acceptait de m'y laisser à la seule condition de rencontrer Chiron. Je ne savais pas ce que mon instructeur lui avait dit lors de son entretien mais Ellen n'émit dès lors plus aucune objection et m'apprit avant de partir que mon père avait été interné pour une durée indéterminée. Je n'avais fait aucune remarque. Je n'avais pas pleuré. J'avais la conviction, peut-être à tort, que mon père était déjà mort le jour où j'étais née.
Empire State Building, Olympe, 2009.
Drizzle ! Drizzle, ça va ? Je vis Eytàn accourir à mon chevet, le bras en sang, les cheveux en bataille. La seconde Grande Guerre venait de se terminer, Percy avait gagné. Le soulagement était palpable au mont Olympe. Les blessés y avaient été rassemblés, dont moi, lamentable victime.
Je vais bien, je ne sens presque plus rien. Eytàn ne sembla pas convaincu le moins du monde. Il faut dire qu'avec tous ces bandages, je ne devais pas paraître au mieux de ma forme. Voyant mon expression de défi, il s'abstint cependant de commenter encore une fois mon état de santé. Je ne voulais pas qu'on s'inquiète pour moi, ces blessures avaient été entièrement ma faute. Je n'aurais pas du me lancer dans la bataille sachant mes maigres ressources au combat mais je n'en avais fait qu'à ma tête, comme à ma triste habitude. Eytàn devrait le savoir, nous étions amis depuis trois ans. Trois ans déjà que Samaël, lui et moi étions devenus inséparables.
Tu as vu Sam ? Je hochais les épaules signe que ce n'était pas le cas.
Je vais essayer de le trouver. Toi, reste là. Comme si je pouvais aller quelque part. Je soupirais. Rester allonger sans rien faire m'était insupportable. Sam pouvait être là, n'importe où, à avoir besoin de mon aide.
Il est très mignon, dis-moi. Je me redressais subitement, étouffant une grimace de douleur. C'était Elle. Son parfum m'engloba toute entière et je restais là à la regarder, bouche bée. La déesse de l'Amour et de la Beauté. Aphrodite. Maman.
Tu t'es battu de façon courageuse, aujourd'hui. Tu t'es battu par amour. Je suis très fière de toi. Je ne comprenais rien à ce qu'elle me disait. Je ne savais pas comment réagir. Si je devais être en colère, heureuse, triste. Mais le fait était qu'à travers elle et tout son charme, je revoyais mon père fatigué, malade et terriblement seul. Ce fut comme si elle avait lu dans mes pensées
J'ai passé de merveilleux moments aux côtés de ton père. L'amour peut être destructeur mais il sera son remède. Il s'en remettra, je te le promets. Je sentis mes larmes couler comme elles ne l'avaient plus fait depuis longtemps. Et avant que je ne puisses dire un mot, Aphrodite avait déjà disparu. Ce fut la première et la dernière fois que ma mère me parla.
Colonie des Sang-mêlés, 2012.
Je marchais d'un pas rapide à travers le camp d'entraînement, me massant vigoureusement les tempes. Un terrible mal de tête s’immisçait en moi depuis ce matin et j'avais décidé de rejoindre Sam et Eytàn pour me changer les idées.
J'ai l'impression que quelqu'un s'est levé du mauvais pied. Dit Sam en m'apercevant.
Tu devrais être heureuse pourtant, c'est la Saint-Valentin, aujourd'hui. Le jour attitré de ma mère. Je n'y avais même pas fait attention c'est pourquoi je ne relevais pas.
J'ai l'impression d'avoir un marteau-piqueur dans le crâne. Derrière eux, j'aperçus un Hermès manier avec dextérité son épée devant un groupe de jeunes Aphrodite. Je n'arrivais pas à retirer mes yeux de la scène, j'étais comme fascinée. Puis j'eus soudain une certitude absolue.
Vous saviez que Thomas était amoureux ? Mes deux amis me regardèrent d'un air interloqué. Sam se retourna pour suivre mon regard et commenta que la Saint-Valentin devait m'être monter à la tête. Eytàn, plus prudent, me demanda
Qu'est ce qui te fait dire ça ? Je regardais un moment dans le vide, réfléchissant à la question.
J'sais pas... L'instinct. Je reportais mon intention sur une Arès brutalisant un gamin un peu plus loin. Cette scène aurait normalement du me révolter mais j'étais bien trop concentrée sur mes battements de cœur rapides et la soudaine chaleur dans mes joues pour y faire attention.
Rachel, aussi. Elle aime quelqu'un. Sam et Eytàn me regardèrent, bouche bée. Puis, ils se tournèrent vers Rachel avant d'échanger un dernier regard.
C'est confirmé. La Saint-Valentin t'es vraiment monté à la tête. Je pris un air faussement en colère et les frappa tous les deux à l'épaule. Ils éclatèrent de rire et je ne pus que les imiter.