Une vie normale pour un mortel consistait surement à enchaîné le célèbre métro-boulot-dodo et à se battre pour y insérer des loisirs ainsi qu'une vie de famille. Les demi-dieux n'avaient pas cette chance. Attaquer par des monstres, se lancer dans des quêtes impossibles, et, aujourd'hui, se faire kidnapper pour le plaisir sadique d'une divinité quelconque, voilà quelles étaient leurs notions d'une vie normale. C'était un constat à la fois triste et déprimant. Dans ce genre de situations, les personnes ordinaires mourraient de peur, et, bien que les deux demi-dieux n'étaient pas rassurés, ils trouvaient quand même la force d'échanger des plaisanteries, car, malheureusement, ce genre de situation pouvait sonner familière dans leurs quotidiens mouvementés de sang-mêlés.

Abby allait même à faire référence à un jeu qu'elle ne connaissait pas du tout, mais dont la citation était célèbre. Il fallait bien relâcher la pression d'une manière ou d'une autre. C'était ça ou devenir dingue, aussi dingue qu'était leurs vies. "Cool, si on survit, tu pourras lui demander ce que veut dire cette phrase ? Je la lis sans arrêt sur internet, mais j'y comprends rien." Avoua Abigail après qu'Haytham lui parle de son voisin accro aux jeux vidéos. Les paroles du fils de Mars l'aidèrent à se détendre et, ô miracle, à lui arracher un sourire. "C'est drôle, dans ce genre de situation, d'habitude, on pense à la personne qu'on aime le plus et toi, tu penses à ton voisin gamer slash geek. Je serais mauvaise langue, je dirais que ce détail est révélateur." Plaisanta-t-elle. "D'accord, je te taquine parce que je suis jalouse." Ajouta-t-elle avec un clin d'œil complice.

Elle n'alla pas plus loin pour ne pas briser ce qui sera peut-être le seul moment d'accalmie dans cette épreuve. Contrairement à son compagnon de misère, la fille de la déesse de l'amour n'avait aucun nom qui lui venait en tête ni de bonnes résolutions à faire si elle survivait à ce jeu sadique. Rien. Pas de 'j'essayerais de rendre plus souvent visite à son père' ou de 'j'oserais mettre les points sur les i avec Zack'. Rien d'aussi spontané que la déclaration d'Haytham en tout cas. Bien qu'Abby eût quelques amis, en cet instant, elle avait l'impression déprimante qu'elle ne manquerait à personne. Ce n'était pas vraiment la manière de penser idéale pour qui voulait s'en sortir dans ce qui s'annonçait être une série d'épreuves de plus en plus tordues.

Pour l'instant, leur seul problème était de récupérer les clefs à temps et potentiellement trouvé un moyen d'échapper au cinglé (monstre ou divinité mineure, cela restait à définir) qui les avait kidnappés. Rien d'insurmontable sur le papier. La serre botanique confirmait presque cette impression. Les lieux étaient trop calmes, au point que la demi-déesse craignait être sur le terrain de jeux d'une Gorgone à cause des statues.

Avoir la confirmation que ce n'était pas le cas fut un soulagement de courte durée, car à cause d'un faux pas après avoir vu la clef, le jeu commença officiellement et les statues commencèrent à vouloir les attaquer. Abby peinait avec un seul adversaire tandis qu'Haytham en avait deux contre lui. Le combat de la fille de Vénus n'était pas très glorieux et se limitait à jeter sur la statue tout ce qui arrivait à porter de main. Bref, elle ne pouvait que gagner du temps en attendant que les secours arrivent. Haytham lui avait déjà sauvé la vie par le passé et il semblait condamné à reproduire cet exploit. C'est avec un mélange de gratitude et de frustration devant son incapacité à se sauver elle-même qu'Abigail accueillit cet énième sauvetage. Profitant du fait que son confrère Romain s'occupait des êtres de pierre, elle se lança à l'assaut du roi et surtout de cette maudite clé. Ses tentatives sonnaient très certainement beaucoup moins héroïque que le combat livré par Hay, mais n'en demeurait pas moins important pour le 'jeu'.

Chaque dallage foulé semblait déclencher la marche du Roi. Un petit jeu de chat et de la souris avait commencé tandis que le temps filait dans le sablier. Abigail regretta d'être fille de Vénus plutôt que fille de Mercure. Vu la situation, elle aurait volontiers troqué un de ces pouvoirs contre le pied léger ou la vitesse impressionnante que possédait certains enfants du dieu des voleurs. La Romaine serra les poings et accéléra la cadence. Il était inutile d'envier des pouvoirs qu'elle n'aurait jamais, Haytham comptait sur elle.

Ignorant tout du combat intérieur qui se livrait dans l'esprit de son ami, Abby cria sa victoire lorsqu'elle attrapa cette fichue clef. Serait-il vraiment étonnant de dire que cette sensation victorieuse ne dura pas ? Presque immédiatement après, le sol se mit à vibrer. Le regard de la demi-déesse se baissa et elle vit les fissures apparaître. Qu'avait-elle fait de mal ? Le but du jeu n'était pas de récupérer la clef ? "Pas en bonne et due forme ! Mauvais perdant !" S'exclama-t-elle avec fureur en levant la tête et pointant un poing rageur en direction du plafond, estimant que le responsable de tout ceci devait se trouver en hauteur afin de mieux contempler son oeuvre. Inutile, mais tellement défouloir.

En baissant les yeux, Abby eut un hoquet de surprise en voyant un fils de Mars sprinter dans sa direction tout en lui conseillant de courir sans se retourner. Pas besoin de le lui dire deux fois ! Elle courut aussi vite que possible, tout en cherchant fébrilement une issue du regard. Ce fut Haytham qui trouva une porte. Pas le temps de soupeser les chances qu'il s'agisse d'un piège, elle suivit le mouvement pour se diriger vers cette issue inespérée. Elle trébucha à quelques endroits et se prit une table renversée dans les côtes à un moment, pourtant, à aucun moment, elle ne songea à ralentir l'allure. Abigail serrait les dents et continuait d'essayer de suivre le rythme tout en essayant d'ignorer le décor qui s'effondrait tout autour d'eux.

Un début de soupir de soulagement naquit alors qu'il ne restait que trois mètres à parcourir pour atteindre la sortie. Pas d'obstacle en vue, cela semblait trop beau. Note à elle-même : elle devait arrêter de penser ce genre de chose, cela semblait attirer la poisse. En un instant, une fissure s'était créée et s'élargissait de manière alarmante, les séparant de la sortie. Aussi courageux qu'à son habitude, Haytham proposa de sauter en premier. "O...Ok." Souffla Abby en acquiesçant. Ce n'était pas le moment d'exprimer des pensées pessimistes. Il n'en avait tout simplement pas le temps. À peine avait-elle bredouillé cette réponse que son compagnon de misère s'élança après avoir pris autant d'élan que le décor en démolition le lui permettait. Abigail prit à ton tour son élan pendant que Haytham se remettait de sa réception. Sous les encouragements du fils de Mars, elle s'élança à son tour, tendant les bras devant elle afin d'aider à maximum son comparse d'aventure du soir.

Sans son ami, elle aurait certainement fait un joli plongeon puisqu'en plein saut, la faille continuait de s'écarter. Abby étouffa un cri et se cramponna aux bras musclés du fils de Mars pendant que ces jambes pédalèrent un instant dans le vide avant d'être tiré vers la terre ferme.

Ce n'est seulement qu'après avoir franchi la porte qu'Abigail se permit de s'effondrer de soulagement à cause de la tension qui venait brutalement de s'enlever de ces épaules. "Je sens que je vais le dire souvent ce soir, mais, encore merci." Dit-elle avec un sourire reconnaissant en direction d'Haytham.

Comme elle avait lever les yeux pour remercier son sauveur, la fille de Vénus réalisa que la porte qu'ils avaient franchie ne les avait pas ramener dans le couloir couvert de porte, mais dans une pièce étrange de motifs aléatoires en noir et blanc. "C'est quoi encore ce délire ?" Commenta-t-elle en se relevant, se tenant prête à combattre les bizarreries de cette nouvelle pièce. La pièce lui semblait immense, mais, en y regardant de plus près, cette impression était faussée par des miroirs sans cadre qui répétait à l'inverse les motifs bicolores du décor. Dans l'un d'eux, se reflétait un sablier qui commença sa course, mais aucun signe de clef. "Génial, on enchaîne sans transition apparemment." Marmonna-t-elle. Abby n'osa s'avancer dans la pièce. Elle n'oubliait pas sa maladresse faite à la salle précédente qui avait provoqué l'avancée des statues. Tout en inspectant le décor, elle tenait fermement la première clef durement acquise.